Passer d’un monde à l’autre, vivre une transition, est une source d’angoisse ou d’excitation, sans doute entretenue, parfois renforcée, par les générations précédentes et les projections vers un avenir incertain. Alors que les étudiants qui rejoignent les bancs de l’enseignement supérieur sont les plus à même de trouver une situation professionnelle à la fois confortable, motivante et rémunératrice, ils ont une vision peu optimiste de ce qui les attend. Faut-il s’en étonner ? Pourquoi l’enseignement supérieur dans son ensemble, ne réussit-il pas à rassurer les futurs travailleurs et élites intellectuelles de la nation ? L’effort pour une meilleure transition vers le monde professionnel est-il suffisant ?

Les Robots ont voulu en savoir davantage sur ces questions, à l’heure de la remise en question de nombreux métiers par l’intelligence artificielle. Tous les métiers sont-ils concernés ? Et si vous deviez conseiller un (ou une) jeune talent à l’aube de choix vers une filière du supérieur, comment répondriez-vous à la question : vais-je trouver un boulot à la hauteur de mes espérances ?

« Cette enquête vient confirmer que nos diplômés s’insèrent toujours très bien dans une grande variété d’entreprises, et rejoignent les secteurs auxquels leur formation les destine. » déclarait Laurent Champaney, président de la Conférence des Grandes Écoles, en présentant les résultats de l’enquête annuelle effectuée auprès de 199 écoles. Un taux d’emploi moyen autour de 85% à moins de 6 mois, avec presque 90% pour les écoles d’ingénieurs et seulement un peu plus de 81% pour les autres filières. Rien de nouveau semble-t-il. Rien d’alarmant non plus. D’autant que 91% des ex-étudiants affirment « occuper un poste qui correspond à leur qualification », dans cette même enquête.

D’où viennent, dans ces conditions, les inquiétudes récurrentes que propagent les médias autour de cette fameuse transition ?

Car les préoccupations sont bien réelles, malgré les promesses faites par les établissements, statistiques et témoignages d’alumni à l’appui. Ce constat, partagé par de nombreux observateurs, fait ressortir quelques enjeux restant à régler, tels :

  • L’écart entre formation académique et attentes des entreprises reste une réalité, malgré l’évolution des programmes et le développement des stages et alternances.
  • Le fait que certains étudiants se heurtent à des obstacles spécifiques pour diverses raisons comme le manque d’expérience concrète, un faible réseau, une situation de vulnérabilité sociale ou d’origine étrangère.
  • Les taux d’insertion qui dépendent fortement du type de diplôme, de la discipline et du contexte socio-économique local, et qui font émerger de fortes inégalités entre établissements.

À nouveau, nous faisons face à des croyances datées qui ont la vie dure. Par exemple, l’université serait-elle moins bien adaptée à l’insertion dans le monde professionnel ? Et que dire à un jeune qui voudrait choisir une carrière dans les domaines dits culturels ?

Première idée reçue renversée par la réalité des faits, l’université affiche un taux d’accès au premier emploi (à 6 mois) tout à fait comparable à celui des « grandes écoles », comme le confirme la stabilité de ce chiffre autour de 85% (note d’information du SIES pour 2020). Plus surprenant encore les filières artistiques sont également pourvoyeuses d’emploi pour les diplômés du supérieur, dans des pourcentages tout à fait équivalents, voire au-delà dans certaines disciplines. Alors qu’on aura souvent entendu que la chorégraphie ou la création graphique sont des horizons bouchés, les jeunes qui font ces choix trouvent, eux aussi, un emploi qui les satisfait.

Est-ce là un résultat concret mesurant l’impact positif de l’implémentation rapide de l’apprentissage et de l’alternance dans les modèles de formation de l’enseignement supérieur ?

En France, la professionnalisation s’est imposée comme l’un des axes majeurs des réformes universitaires françaises depuis une vingtaine d’années. Suivant les directives ministérielles, les universités ont développé des formations plus professionnalisantes, avec l’appui des services universitaires d’information et d’orientation (SUIO) et des bureaux d’aide à l’insertion professionnelle (BAIP), mais aussi via des partenariats avec les entreprises. Ainsi, les universités, comme les écoles du secteur privé, proposent aujourd’hui des dispositifs variés pour l’insertion des jeunes : stages, alternances, junior-entreprises, projets personnels et professionnels.

En 2023, le nombre de contrats d’apprentissage a dépassé le million, signal fort de l’évolution du système qui était, il y a vingt ans, très en retard sur ses voisins européens. Or, s’il est particulièrement choisi par les étudiants d’origine sociale modeste, le modèle de l’alternance en dernière année de master conduit à des taux d’emploi les plus élevés : 90 % pour l’apprentissage et 92 % pour le contrat de professionnalisation. Une preuve éclatante des efforts réalisés pour un accès plus équitable à tous les métiers largement soutenu par l’État et les établissements de l’ESR.

Reste la question de l’intégration des nouveaux diplômés dans le monde de l’entreprise. Les entreprises expriment haut et fort des exigences d’immédiateté dans l’efficacité des jeunes recrues. Conséquence, elles attendent des établissements une adaptation fine et permanente des programmes de formation à la réalité des métiers et des compétences nécessaires. Cette pression du temps réel est de plus en plus forte, et requiert du système éducatif une adaptabilité plus forte encore.

Dans ce contexte, et tandis que l’image véhiculée par le système éducatif français n’est pas vraiment celle d’une organisation agile, quels sont les dispositifs imaginés par les établissements pour répondre à ce défi ?

En ce qui concerne les universités, et de manière plus générale, certaines actions ont été développées pour faciliter la transition vers le monde socio-économique. C’est avant tout le reflet de la volonté d’assumer une véritable politique de l’insertion professionnelle, pensée comme une priorité institutionnelle transversale et non un « service en plus ». Il s’agit dans ce cadre, d’articuler étroitement les référentiels de compétences des formations avec les besoins du tissu socio-économique, tout en préservant la dimension critique et réflexive propre à l’université. Celle-ci joue alors un rôle d’interface, en intégrant des pratiques pédagogiques innovantes (apprentissage par projet, mentorat, entrepreneuriat étudiant), en développant les liens avec les alumni ou encore, en favorisant la mobilité professionnelle dès la licence. Ces dernières années de nombreuses initiatives ont été menées pour faire évoluer les programmes en donnant davantage de place à une approche par compétences. C’est par exemple, le cas de l’université de Bretagne Sud, de Paris-Saclay ou encore de l’université catholique de Lille pour ses formations de droit. Le cas le plus significatif est, toutefois, celui de l’université de Strasbourg qui a intégré cette approche comme un pilier central de sa future offre de formation 2024-2028, visant à professionnaliser les étudiants en les aidant à identifier et valoriser les compétences acquises, notamment grâce à une pédagogie centrée sur la mise en situation concrète et la mobilisation de savoir-agir. Cette démarche favorise l’engagement, la motivation et l’insertion professionnelle des étudiants.

Les universités ayant gagné en autonomie et ayant recours au financement public via des appels à projets, investissent constamment pour adapter les parcours à l’évolution des métiers. Elles multiplient les initiatives en lien avec leurs territoires ou des partenaires institutionnels comme l’APEC, par exemple. Elles engagent leurs communautés étudiantes à participer à des journées spéciales comme le propose l’université de Montpellier depuis 2017 : « Transition vers l’emploi » est devenu un rendez-vous annuel pour accompagner jeunes diplômés de master et doctorat avec des tables rondes, des ateliers personnalisés (CV, réseau, entretien, entrepreneuriat) et des échanges avec de jeunes diplômés en insertion. Dans les écoles privées du supérieur, nombre de Career Center ont vu le jour et donnent accès à du coaching individuel, au suivi personnalisé, à une veille sur les tendances du marché et à un accompagnement à l’employabilité.

Allant plus loin, d’autres universités intègrent dans certains cursus des modules obligatoires étalés sur plusieurs années, visant à construire progressivement le projet professionnel et à mieux appréhender le monde professionnel. Un projet professionnel qui subit régulièrement les assauts des changements technologiques. C’est par exemple le défi récent de l’impact de l’intelligence artificielle sur de nombreuses professions, qui monte d’un cran supplémentaire la pression sur le système éducatif.

« À terme, l’idée est aussi de créer des modules dans toutes nos licences, pour sensibiliser les étudiants à l’impact de l’IA sur les métiers actuels, mais aussi pour attirer leur attention sur les métiers d’avenir, notamment dans la régulation de l’IA », précisait Christine Neau-Leduc dans une interview à Campus Matin. La présidente de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, présentait ainsi l’an dernier, le projet AISorb, lauréat de Compétences et Métiers d’Avenir (CMA) de France 2030, qui dispose de 5 millions d’euros pour intégrer l’IA dans les cursus.

On le comprend, les établissements de l’enseignement supérieur ont pris en charge de nouvelles responsabilités vis-à-vis tant de leurs cohortes d’apprenants que des entreprises. Devenus de véritables plateformes de mise en relation entre les jeunes diplômés et le monde économique, ils dépassent ainsi leur mission originelle de la transmission des savoirs. Au premier rang, les 70 universités françaises qui accueillent plus de 1,6 millions d’étudiants cette année (sur près de 3 millions au total), contribuent à une plus grande qualification des jeunes, et donc à leur meilleure employabilité. La France compte parmi eux près de 52% de diplômés de l’enseignement supérieur (pour 48% en moyenne dans l’Europe), alors que cette proportion n’est que de 42% sur la population de 25 à 64 ans.

La forte progression des jeunes générations vers des parcours diplômants dans l’enseignement supérieur est certainement un gage de capacité d’adaptation de notre pays pour préparer demain.

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