À propos de l’orthographe, on entend souvent une sorte de complainte : « c’était mieux avant ? ». Est-ce que nos aînés maîtrisaient mieux le français qu’aujourd’hui ?

Publié le 14/10/2025

Une interview de
Mélanie Viénot, Présidente de Projet Voltaire

C’est une question récurrente, mais la réponse n’est pas si simple. Plutôt que « mieux », je dirais que c’était surtout différent. Nous vivons dans un autre monde, avec des exigences et des normes qui ont profondément changé. À l’époque de nos grands-parents, le nombre de compétences à maîtriser était bien moins important. Aujourd’hui, un jeune évolue dans un univers plus ouvert et technologique, ce qui l’oblige à acquérir un éventail de savoirs beaucoup plus large, que ce soit sur l’environnement ou le numérique. Le temps scolaire n’étant pas extensible, le nombre d’heures consacrées aux apprentissages fondamentaux comme le français et les mathématiques a mécaniquement baissé.

Dans ce contexte, on observe que les écarts se creusent. L’école peine à corriger les inégalités sociales qui naissent au sein des familles. La langue française, qui était déjà un marqueur social à l’époque, l’est devenue encore plus aujourd’hui. La raison principale est que nous sommes dans une société de l’écrit où nos écrits sont beaucoup plus exposés. Entre les e-mails, les messageries instantanées comme Teams et les réseaux sociaux, nous sommes constamment amenés à rédiger vite et bien. Cette injonction à communiquer de manière concise et précise, sans fautes qui pourraient écorner notre image, rend nos lacunes beaucoup plus visibles.

Il faut aussi comprendre que les compétences linguistiques elles-mêmes se sont diversifiées. Rédiger un SMS, un compte-rendu ou un roman sont trois exercices très différents, avec des codes et des normes spécifiques. Les gens savent très bien faire la distinction, mais cela signifie qu’il y a beaucoup plus de codes à maîtriser qu’auparavant, ce qui représente une pression supplémentaire.

Comment le Projet Voltaire, solution numérique répond-elle aux besoins de ceux qui sentent la nécessité de progresser ?

Notre combat est précisément là. Le point de départ est de dédramatiser : personne n’est parfait, tout le monde fait des fautes et ce n’est pas grave. Pour beaucoup, l’idée de se remettre à niveau semble être une montagne insurmontable, un processus fastidieux et un peu douloureux, synonyme de retour aux vieux manuels de grammaire. Notre mission est de prouver le contraire.

Le Projet Voltaire a été conçu pour être une solution douce, accessible et non stigmatisante. Les outils numériques sont une réponse parfaite à ce besoin. Ils permettent de s’entraîner où l’on veut, quand on veut, par exemple 15 à 20 minutes par jour dans les transports. C’est économiquement plus accessible qu’une formation en salle et cela permet de progresser seul, loin du regard parfois gênant des autres. Nous combattons le stigmate qui associe à tort les difficultés en orthographe à un manque d’intelligence ; il ne s’agit que d’une compétence qui s’acquiert.

La force de notre outil réside dans son algorithme d’apprentissage adaptatif. Il s’ajuste en permanence aux difficultés et au rythme de chaque utilisateur. L’objectif est d’ancrer durablement des réflexes pour libérer le cerveau de ces questions. Le système est conçu pour n’être ni trop difficile, au risque de décourager, ni trop facile, au risque d’ennuyer. Il mélange des règles que l’utilisateur maîtrise avec celles qui lui posent problème pour maintenir une progression constante et engageante.

Le résultat le plus gratifiant pour nous, c’est de voir les gens reprendre confiance en eux. J’ai en tête le témoignage d’une salariée qui nous a dit : « C’est libérateur. Maintenant, quand je rédige un e-mail, je n’ai plus cette boule au ventre ». Elle peut enfin se concentrer sur le fond de son message, sur l’idée qu’elle veut faire passer, plutôt que de se tourmenter sur la forme.

Une nouvelle technologie bouscule notre rapport à l’écrit : l’intelligence artificielle générative. Va-t-elle rendre la maîtrise de la langue obsolète ?

Au contraire ! Nous sommes face au même paradoxe qu’avec les premiers outils numériques : l’IA rend la maîtrise du langage encore plus cruciale. Une IA générative est, par définition, un modèle de langage.

Son principe est d’imiter le langage humain et de prédire le mot suivant dans une séquence. La conclusion est donc évidente : pour bien maîtriser un modèle de langage, il faut maîtriser le langage.

Ce ne sont pas seulement nos conclusions, ce sont les créateurs de ces outils, comme OpenAI, qui le disent. L’un de leurs développeurs principaux expliquait que communiquer efficacement avec une IA n’est pas différent de communiquer avec un autre être humain. Les compétences fondamentales que sont la lecture, l’écriture et l’expression orale sont plus importantes que jamais. L’idée qu’il n’y aura bientôt plus besoin de «prompter» est une illusion. Que la requête soit écrite ou orale, elle repose sur la mécanique de la langue.

D’ailleurs, des études du MIT ont montré que la qualité du langage utilisé dans un prompt influence directement la qualité de la réponse. Un prompt formulé dans un langage soutenu et poli n’ira pas puiser dans les mêmes corpus de textes qu’un prompt mal formulé, et obtiendra donc une réponse de meilleure qualité. Loin d’égaliser les compétences, l’IA risque de creuser davantage les écarts. Une mauvaise utilisation de ces outils fait perdre un temps considérable, génère des textes inutilement longs et nuit à la productivité globale. Un message clair avec une ou deux fautes d’accord sera toujours plus efficace qu’un long texte sans faute mais incompréhensible.

Pour finir, une question un peu provocatrice : parlera-t-on encore français dans 50 ans ?

La réponse est un grand oui, et les chiffres sont là pour le prouver. Le français est aujourd’hui la cinquième langue la plus parlée au monde, avec 321 millions de locuteurs, et sa progression est impressionnante : +7 % entre 2018 et 2022. Une étude 2024 citée par l’Organisation Internationale de la Francophonie a même montré que, grâce à la dynamique démographique de certaines zones francophones, le français pourrait devenir la deuxième langue la plus parlée au monde à l’horizon 2050, avec 715 millions de locuteurs.

Au-delà des chiffres, il y a un véritable attachement des gens à leur langue, comme en témoigne le succès des dictées géantes. Mais l’enjeu est plus profond. La langue est le socle de la pensée. Bien la maîtriser, c’est se donner les moyens de développer son esprit critique, de comparer des points de vue, de ne pas tomber dans le piège des fausses informations. C’est un outil essentiel pour exprimer ses émotions, ses frustrations, et ainsi éviter que des incompréhensions ne dégénèrent en conflits. C’est pourquoi nous avons des partenariats avec le ministère de la Justice, convaincu que la maîtrise de la langue est un facteur de cohésion sociale.

Notre combat au Projet Voltaire, à travers notre fondation qui met nos outils à disposition de publics fragiles comme les jeunes décrocheurs ou les détenus, est d’éviter une langue à deux vitesses. Refuser de simplifier la langue à l’extrême, ce n’est pas de l’élitisme, c’est garantir que chacun ait les outils pour penser, comprendre et interagir avec le monde. La langue est l’un des principaux outils du bien vivre ensemble, et nous devons continuer de la chérir.

Publié le 14/10/2025

Une interview de 

Mélanie Viénot, Présidente de Projet Voltaire