Publié le 14/10/2025

Un article écrit par
Simone et les Robots

Car à l’évidence, l’humain a toujours réussi, jusqu’ici, à s’approprier les avantages offerts par la technologie, au fil des siècles.

Une autre « évidence » relevée dans un document publié par l’université de Bordeaux : « Une des grandes opportunités de l’IA est aussi l’amélioration de l’efficacité pédagogique grâce à la personnalisation de l’apprentissage. L’IA est en effet capable d’analyser le niveau de compétences, les préférences d’apprentissage et les besoins individuels des étudiants pour s’adapter afin que chacun progresse à son rythme avec un soutien ciblé. » (2)

Alors posons-nous deux questions essentielles pour envisager le futur de l’enseignement avec l’IA :

• Allons-nous, en tant qu’espèce, progresser intellectuellement dans les 30 prochaines années en utilisant l’IA ?
• Faut-il vraiment personnaliser l’apprentissage via l’IA pour le rendre efficace pour chacun et pour la société ?

Edgar Morin a écrit sur Twitter le 1er mai 2018 :

« Je crains l’intelligence superficielle

autant que l’artificielle. »

Son intention était de nous inviter à cultiver la pensée complexe, celle que le cerveau produit avec une consommation réduite à 10 W et non pas en consommant des tonnes d’eau et d’énergie comme le font les serveurs informatiques. Car, sans que cela ne constitue une surprise, le cerveau humain n’effectue pas de calcul arithmétique. En réalité, il traite directement les informations sensorielles et les combine par des chaînes d’interactions physico-chimiques subtiles et innombrables. Il évolue en prime, dans un environnement instable par nature et subit de très nombreuses interactions avec l’extérieur, contrairement aux modèles fermés et limités par le jeu de données qu’ils exploitent.

Pour l’instant, nous n’avons que très peu de savoir sur le fonctionnement complexe de notre cerveau lorsqu’il s’agit de réfléchir au-delà de la simple impulsion mécanique ou du réflexe. Comment se construisent nos émotions, nos pensées, nos rêves et nos angoisses ? Pourquoi aimons-nous la physique ou le droit ? Pourquoi savons-nous dessiner ou réparer une bicyclette ? Comment décidons-nous d’aller vivre à Dax ou à Dunkerque ? Aucun algorithme ne semble capable d’expliquer nos choix, nos fantasmes ou nos amours.

Or l’accès à la connaissance, rendu plus facile, plus direct par le biais du numérique, est-il une garantie de progrès intellectuel ?

Parce qu’après tout, chaque innovation qui a révolutionné nos sociétés, de l’invention de la roue à celle du smartphone, a contribué au progrès individuel. Pourquoi en serait-il autrement pour l’intelligence artificielle ? Pourquoi se poser la question ?

Pour la première fois dans notre histoire, on nous présente des outils dits intelligents, qui font mieux et plus vite des travaux supposés intellectuels au sens où nous devons utiliser nos ressources et nos compétences pour les réaliser. Ecrire un rapport, résumer un livre ou une conférence, présenter une idée, analyser des conversations multiples, autant de tâches complexes que l’IA est censé pouvoir faire à notre place. Aussi bien voire mieux que nous, et comme pour toutes les machines inventées par l’Homme, plus vite que nous. C’est là que le défi nous est lancé. Après tout si la machine est aussi intelligente que nous et va plus vite, nous devrions l’utiliser. C’est ce que nous avons toujours fait.

Si nous appliquons cela au domaine de l’enseignement, nous devrions obtenir comme résultat, d’apprendre davantage et plus vite qu’avant. C’est en tout cas, le but que nous recherchons. En savoir plus nous conduira-t-il à être plus intelligent ?

L’effet Flint qui résume l’augmentation du QI de l’être humain depuis le milieu du 20è siècle peut-il nous rassurer sur ce point ? D’après les études menées sur 300 000 personnes, le QI augmente et continue d’augmenter, mais d’une manière moins marquée maintenant : 2.4 points par décennie entre 1948 et 1985, contre 1,8 entre 1986 et 2020. « Mais les arbres ne peuvent pas monter jusqu’au ciel, il y a forcément des limites à ce qu’un cerveau humain peut faire », rappelle Franck Ramus, directeur de recherches au CNRS et de l’équipe «Développement cognitif et pathologie» au Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique de l’Ecole Normale Supérieure de Paris, dans un article de 2023.(3) Une bonne nouvelle pour l’humanité, même si certains émettent des réserves et affirment même au contraire que notre intelligence décline, nourrissant les nostalgiques et tenants du « c’était mieux avant ».

1.8 points

Augmentation du QI entre 1986 et 2020

Et si le progrès était individuel ?

L’autre voie du progrès lié à l’usage de l’intelligence artificielle serait celle de l’individualisation des parcours d’apprentissage. Plus on sera capable de personnaliser ce parcours et plus l’apprenant sera performant dans l’acquisition et la restitution des connaissances et compétences utiles à sa vie professionnelle. C’est en tout cas le discours commun, tenu par nombre de spécialistes allant à l’encontre du principe de l’université, ce lieu où l’on apprend ensemble. Faire collège à Paris au milieu du XIIe siècle, c’est se réunir en tant que détenteurs du savoir. Ainsi naissent les universités à Paris, à Oxford puis partout dans la vieille Europe, avant de franchir les frontières et les continents.

A une autre époque, l’accès au savoir est réservé aux plus aisés et placés dans les mains des précepteurs. Parcours individuel signifiant alors, un coût prohibitif pour la quasi-totalité d’une population. Démocratiser l’accès à la connaissance a d’abord consisté à partager les bancs de l’école, et à suivre, pour la plupart les mêmes cours, les mêmes programmes. Au niveau supérieur de l’enseignement, on pourra plus tard se spécialiser par composante ou discipline, sciences ou humanités, généraliste ou spécialiste.

L’IA serait donc la promesse d’un retour à l’individu. Son coût d’emploi étant évidemment assez faible, une fois ramené à l’abonnement mensuel et personnel, on peut en conclure que tout le monde sera de la partie. Chacun apprenant ce qu’il souhaite, à son rythme, encadré et évalué toutefois par un formateur, un tuteur, voire même un coach. Pourquoi pas ?

Pourtant, le principal reproche que l’on adresse à l’usage intensif de l’IA générative et des LLM de façon plus générale, est de réduire, voir d’anéantir notre esprit critique. Fondement de notre intelligence collective et de l’université, notre capacité à débattre et à « disputer » autour d’idées, de concepts et de projets de toute nature, serait en danger. Et en effet, si l’on envisage la polarisation de la société sous cet angle, nous pouvons redouter cette perte de l’acceptation du débat contradictoire comme un indicateur de régression intellectuelle.

A charge pour les enseignants et les établissements de continuer à jouer ce rôle d’instigateur et d’animateur de l’esprit critique.

Reste que les compétences que nous devons acquérir servent aussi la société dans laquelle nous vivons, et plus encore celle pour laquelle nous travaillons. A l’individualisation des parcours vient se heurter la nécessité d’une culture partagée. La génération Z a mis en évidence cette nouvelle difficulté pour le monde économique, d’une intégration et d’une exigence extrêmement difficile à gérer pour l’entreprise mais aussi pour la Nation. Pourrons-nous maintenir un socle culturel fédérateur lorsque chacun suivra son parcours comme bon lui semble ? Devons-nous faire confiance à l’IA pour nous permettre d’atteindre à la fois ces deux objectifs du respect de chacun dans sa différence et de tous dans la culture qui nous rassemble ?

Les enjeux de l’éducation sont et seront toujours complexes et essentiels à la vie en société. L’IA induit sans doute un changement profond dans les méthodes comme dans les usages, pédagogiques ou non.

A nous d’imaginer le futur pour le progrès de tous.

Publié le 14/10/2025

Un article écrit par
Simone et les Robots