Dans l’histoire des sciences, chaque grande révolution a reposé sur une capacité nouvelle à observer, mesurer et partager. Hier, la lunette astronomique ouvrait les cieux ; aujourd’hui, ce sont les données qui dessinent l’horizon de la connaissance. Face aux défis sans précédent de notre époque : changement climatique, pandémies, migrations, inégalités croissantes, la science fournit des connaissances utiles pour la construction de notre avenir.
La donnée : matière première de la connaissance scientifique
Les données de recherche, qu’elles proviennent de mesures quantitatives, d’entretiens, d’images, d’échantillons biologiques ou de corpus textuels, constituent le socle de la production scientifique. Elles ne se limitent pas à des chiffres ou des enregistrements : elles témoignent de phénomènes et d’observations qui, une fois analysés, nourrissent la construction de modèles, d’hypothèses et de prédictions.
La fiabilité, la qualité et l’accessibilité de ces données conditionnent la robustesse des résultats et la reproductibilité des travaux, principe central de la démarche scientifique.
Leur gestion rigoureuse, documentation, conservation, archivage et partage maîtrisée, est donc essentielle pour éviter les biais, renforcer la confiance et garantir que les savoirs produits puissent être vérifiés et réutilisés. À ce titre, les données sont désormais reconnues comme une production scientifique à part entière, et non comme un sous-produit des travaux de recherche.
Le partage des données pour relever les défis planétaires
Face à des défis planétaires comme le changement climatique, les pandémies ou les migrations, aucun pays ni aucune discipline ne peut prétendre disposer seul de toutes les réponses. Les données doivent circuler au-delà des frontières géographiques, linguistiques et disciplinaires, et s’intégrer dans des systèmes interopérables. Des initiatives comme le séquençage international du génome humain, le CERN en physique des particules, GISAID pour le partage de données génomiques sur la grippe et le SARS-CoV-2, ou encore les immenses bases de données climatiques ouvertes au public montrent que la mise en commun mondiale des données est non seulement possible, mais indispensable.
Ces dispositifs montrent que la coopération scientifique mondiale n’est pas une utopie. Cette coopération permet d’exploiter pleinement le potentiel de l’information : là où une équipe isolée ne dispose que de ressources limitées, un réseau mondial peut identifier des corrélations inédites, anticiper des crises et proposer des solutions adaptées. La collaboration scientifique apparaît ainsi comme une nécessité collective, traduisant la responsabilité des chercheurs et des institutions face aux grands défis de l’humanité.
De la donnée isolée au commun scientifique
Longtemps, la recherche a vécu sur un modèle compétitif, où chaque équipe conservait ses données comme un trésor jalousement protégé. Mais ce paradigme s’effondre progressivement devant la complexité des défis contemporains. La science ouverte est une approche transformatrice qui place les données de recherche au cœur d’un écosystème collaboratif mondial, où la connaissance devient un bien commun accessible à tous les acteurs de la société.
Les principes FAIR (Faciles à trouver, Accessibles, Interopérables et Réutilisables) constituent le socle technique de cette révolution. La mise en commun de données ne se réduit pas à un geste technique : elle traduit une pratique de la recherche où les données, en tant que ressources ouvertes, s’apparentent à un véritable commun dont l’usage et la gouvernance doivent être partagés.
L’impact de cette ouverture dépasse toutes les espérances. Lorsque le Human Genome Project a choisi de publier ses données en temps réel, il a accéléré la recherche génétique de plusieurs décennies. De même, l’ouverture des données climatiques a permis à des chercheurs du monde entier de développer des modèles prédictifs plus précis, alimentant les politiques environnementales nationales et internationales.
Transparence et éthique : les piliers de la confiance
L’ouverture des données scientifiques ne saurait être confondue avec un abandon de vigilance. La confiance dans la science dépend de la transparence, mais cette dernière ne peut pas se faire au détriment de l’éthique. Les scandales liés à la falsification de données entachent régulièrement l’image de la recherche. Publier les données, documenter leur origine, expliciter les protocoles méthodologiques : autant de pratiques indispensables pour prévenir la fraude et renforcer la vérifiabilité des résultats.
Toutefois, toute mise à disposition doit s’accompagner de garanties éthiques. Les données de recherche concernent parfois des individus, des communautés vulnérables, ou encore des ressources naturelles sensibles. L’éthique impose donc un équilibre : rendre les données aussi ouvertes que possible, mais aussi fermées que nécessaire. Le respect de la vie privée, la protection des savoirs autochtones, la préservation de la biodiversité, les secrets professionnels, de défense et des affaires… encadrent la circulation des données.
Dans nos sociétés confrontées à la désinformation et aux théories conspirationnistes, la transparence des données de recherche constitue un rempart essentiel contre l’obscurantisme.
Quand les citoyens peuvent accéder aux données qui fondent les politiques publiques, ils deviennent des acteurs éclairés du débat démocratique.
Science et ressources numériques : entre ouverture et autonomie stratégique
La recherche s’appuie désormais sur un écosystème numérique mondial fait de données, d’algorithmes et de codes sources, qui sont à la fois des ressources indispensables et des productions scientifiques à part entière. Mais cette dépendance accrue aux plateformes et outils externes soulève des enjeux de souveraineté scientifique : garantir l’accès, la traçabilité, la conservation et l’adaptation de ces ressources sans dépendance critique vis-à-vis d’acteurs extérieurs. L’enjeu n’est pas de se refermer, mais de renforcer la capacité à gouverner des biens stratégiques essentiels à la recherche. La souveraineté scientifique repose sur le contrôle des ressources nécessaires à la production de connaissances, afin d’assurer indépendance, fiabilité et résilience dans un contexte mondialisé.
Transformer les données en leviers de progrès social exige un accès équitable et durable, fondé sur des normes communes d’archivage, de protection et de partage. Cela suppose également un financement pérenne et une gouvernance multipartite, garantissant des infrastructures équilibrées, à l’abri des monopoles.
L’ouverture des données comme levier d’équité
Au-delà des considérations d’efficacité scientifique, l’ouverture des données de recherche soulève des questions éthiques fondamentales. Dans un monde où les inégalités de développement se creusent, l’accès à la connaissance devient un enjeu de justice sociale planétaire. Toutefois, la circulation des données scientifiques risque d’aggraver les inégalités si l’accès reste réservé aux pays et institutions les mieux dotés technologiquement. Pour que les données profitent réellement aux sociétés, il faut investir dans la formation, les infrastructures numériques et les politiques d’inclusion.
Le principe de justice scientifique exige que les chercheurs des pays du Sud global puissent participer pleinement à la production et à l’exploitation des données, plutôt que d’être réduits au rôle de fournisseurs d’informations pour les puissances économiques du Nord. C’est à ce prix que la recherche deviendra un véritable outil d’émancipation collective.
Lorsque les données sont rendues accessibles, elles ne profitent pas uniquement à la recherche académique. Elles alimentent des initiatives citoyennes, des projets associatifs et des politiques publiques. Dans le domaine de l’environnement, l’ouverture des données sur la biodiversité ou la pollution atmosphérique nourrit des mobilisations collectives, permettant aux habitants de documenter leur cadre de vie et d’exiger des changements réglementaires.
Avec CovidTracker et ViteMaDose, une initiative citoyenne a montré comment l’usage de données ouvertes pouvait, en pleine pandémie, améliorer l’accès à l’information et aux services de santé.
Quand technologies et collaboration transforment la recherche
Les nouvelles générations de chercheurs, nées à l’ère numérique, portent naturellement les valeurs d’ouverture et de collaboration. L’intelligence artificielle, la blockchain ou l’informatique quantique offrent des possibilités inédites pour traiter, sécuriser et valoriser les données de recherche à l’échelle planétaire.
Cette convergence crée une fenêtre d’opportunité pour transformer l’approche de la production et du partage des connaissances. Grâce au numérique, les murs des laboratoires s’ouvrent. Les plateformes de science ouverte, les dépôts institutionnels et les entrepôts de données dessinent un nouvel écosystème où la connaissance s’élabore de façon coopérative et transparente.
La donnée : ressource et responsabilité collective
L’histoire montre que les plus grandes découvertes naissent des croisements inattendus entre disciplines, cultures et perspectives. En créant les conditions techniques, juridiques et culturelles d’un véritable partage global, nous préparons des avancées scientifiques dont nous ne pouvons aujourd’hui mesurer toute la portée. Face aux défis planétaires : crise climatique, menaces sanitaires, mutations sociales…, aucune discipline, aucune institution, aucun pays ne peut prétendre trouver seul des solutions durables. Dépasser les frontières qui fragmentent encore la production scientifique est devenu une nécessité.
Placer les données au cœur de la production de connaissances, c’est reconnaître que la science n’est pas un univers clos, mais un bien commun au service de l’humanité.
La donnée n’est pas seulement une ressource : elle est une responsabilité, qui engage chercheurs, institutions et citoyens.
La gouvernance ouverte et inclusive des données de recherche n’est pas seulement garante d’efficacité scientifique : elle est aussi le fondement d’une confiance démocratique renouvelée. Elle ouvre la voie à une société de la connaissance dans laquelle la circulation fluide et sécurisée des données nourrit l’innovation, et où la science se déploie comme force de transformation sociale.