Publié le 14/10/2025

Une tribune écrite par
Orianne Ledroit

Les edtech françaises – ces technologies au service de l’éducation et de la formation – ont connu un boom durant la pandémie de covid : les usages se sont massifiés principalement du fait des contraintes sanitaires que nous subissions. Écoles fermées, universités fermées, centres de formation fermés, toutes et tous en ligne pour continuer à apprendre. D’un danger est né une opportunité que les edtech ont su saisir.

Depuis, les edtech se sont renforcées. Elles ont investi en recherche et développement pour consolider leurs briques technologiques. Elles ont multiplié les partenariats avec des laboratoires – tant les sciences humaines que les sciences formelles – pour soutenir leurs démarches et ainsi allier l’excellence technologique avec la cohérence et utilité cognitives. Au quotidien, elles œuvrent à massifier l’apprentissage tout en le personnalisant.

Des promesses d’une éducation plus accessible et efficace, nous sommes progressivement passé aux preuves : les edtech françaises contribuent à la performance éducative, à l’inclusion, à l’égalité des chances et la mobilité sociale, l’employabilité, la productivité, et enfin à l’indépendance technologique. Loin d’une gadgetisation, elles portent une innovation utile.

Bien sûr, nous ne cédons pas ici à la pensée techno-solutionniste : toute technologie éducative n’est pas bonne en soi, dans tous les contextes et pour tous les apprentissages. Mais preuve est faite – les études sont nombreuses – que ces technologies peuvent contribuer à relever les défis auxquels nos institutions éducatives et notre appareil de formation font face et pour lesquels nous peinons à trouver des solutions efficaces. Les rapports PISA traduisent une baisse du niveau de nos élèves en mathématiques, en compréhension de l’écrit et en sciences. Notre école est celle où l’origine sociale pèse le plus lourd dans les résultats scolaires. L’orientation des jeunes pâtit largement de ces déterminismes sociaux. Les élèves et étudiants, qui sont près de 10% à souffrir de troubles des apprentissages sans compter ceux à besoins éducatifs particuliers, sont souvent peu pris en charge, au risque d’être déscolarisés et de perdre toute estime de soi.

Les élèves et étudiants, qui sont près de 10% à souffrir de troubles des apprentissages sans compter ceux à besoins éducatifs particuliers, sont souvent peu pris en charge, au risque d’être déscolarisés et de perdre toute estime de soi. Les diplômés d’universités peinent à trouver du travail. Les formations dites classiques sont difficilement accessibles aux jeunes éloignés des centres urbains ou à celles et ceux qui ont des contraintes personnelles (enfants à garder, situation de handicap, etc.).

Et pourtant, c’est aujourd’hui que l’horizon s’assombrit pour les edtech. La France se fait hésitante à intégrer les technologies dans les apprentissages.

Le débat public, polarisé autour de la “surexposition aux écrans”, est truffé d’amalgames dangereux. On confond les réseaux sociaux (tik-tok, instagram, etc.) avec les logiciels pédagogiques.

Les premiers monétisent nos données, donnent accès à des contenus inappropriés, maximisent le temps passé en ligne et se substituent à d’autres activités plus stimulantes (effort physique, jeu, conversation…). Tout le contraire pour les seconds dont les contenus sont créés à des fins éducatives, pour stimuler la réflexion, la collaboration et les apprentissages. On confond également les usages passifs et solitaires qui isolent et accaparent avec des usages accompagnés et émancipateurs.

Les études scientifiques sont caricaturées(1) . Les faits étayés sont balayés par des dogmes.

On utilise des revendications sociales (le salaire des enseignants ou leur nombre, les dotations des universités) – mon propos n’est pas de discréditer leur légitimité – comme argument pour refuser un travail collectif pour faire émerger une nouvelle façon d’enseigner qui pourtant s’impose à l’heure de l’accès aux IA génératives.

On considère l’investissement dans les compétences comme une dépense publique qu’il s’agirait donc de réduire alors même qu’il est la condition principale de notre réussite économique et de notre cohésion sociale futures. Pire, on discrimine les apprentissages à distance au seul motif qu’ils sont à distance, alors qu’ils donnent un diplôme, un métier et un avenir à des jeunes.

L’horizon s’assombrit au moment même où la France et l’Europe comprennent par la contrainte – voire les menaces de D. Trump – que l’indépendance technologique est clé. Au moment même où les standards des apprentissages avec les technologies se définissent.

Nous sommes à un tournant : un de ceux qu’il est indispensable de ne pas louper. Dans le passé, nous avons parfois échoué (rappelez-vous l’histoire du Minitel et d’Internet). Mais nous avons aussi été à l’initiative (n’oublions pas que Clément Ader a inventé l’avion, pas les frères Wright).

Que voulons-nous pour notre école ? notre université ? notre formation ? pour notre Nation ?

Voulons-nous que notre éducation soit dans les mains des big tech américaines ou chinoises, dont les algorithmes sont pensés par une Silicon Valley techno-libertarienne ou par le régime autoritaire de Pékin ?

Voulons-nous que nos données éducatives soient monétisées et manipulables ? Voulons-nous déployer des modèles dont la soutenabilité est discutable ?

C’est à cet endroit que doit se situer le débat et les actions en faveur des edtech françaises. Elles nous donnent les moyens de faire autrement. Elles sont des alternatives crédibles à des technologies importées et indomptables. Elles sont le chemin pour construire nos standards, conformes à nos idéaux historiques et à notre vision de l’avenir.

Nous pouvons faire le choix de l’émancipation.

Nous pouvons mettre nos technologies au service de notre éducation et de notre formation en respectant nos valeurs et nos principes fondamentaux.

Alors comment y arriver ?

D’abord en assumant un critère d’achat “Made in France – Made In Europe” dans nos choix technologiques, à l’image de ce qui a été fait dans le passé pour le critère RSE. A fonctionnalités identiques, les solutions edtech françaises ou européennes doivent l’emporter sur des concurrents étrangers. Pas parce que nous souhaitons nous recroqueviller sur nous-mêmes. Mais bien parce que les modèles technologiques d’apprentissage emportent une vision du monde et un projet de société. Nous en défendons l’utilité dans cette récente tribune.

Ensuite en déployant un cadre de confiance pour les technologies éducatives qui crée les conditions d’une collaboration saine et vertueuse. Ce cadre pourrait inclure des clauses de sauvegarde en faveur de l’intérêt général. Par exemple, la préservation d’une collaboration éthique entre des acteurs technologiques et des institutions éducatives fondée sur des règles de gouvernance qui garantissent la souveraineté. Ou encore l’implication de la recherche pour penser et accompagner les transformations du travail engendrées par ces technologies (quels gains sociaux ? quels coûts évités ?). Ou enfin une exigence de déployer des modèles plus sobres en énergie.

Enfin en élaborant une méthodologie claire de preuve pour les technologies éducatives. Cette méthodologie pourrait inclure une échelle progressive avec plusieurs niveaux de preuve demandés aux edtech en fonction de leur maturité et de leur marché. On doit d’abord démontrer les preuves d’usage et de satisfaction des utilisateurs, avant de réaliser des études plus poussées (sur la progression des apprenants ou sur les “learning outcomes”). Cette méthodologie devrait également prévoir les moyens nécessaires pour garantir l’opérationnalité de l’échelle (mobilisation des institutions, identification des laboratoires de recherche, sanctuarisation d’enveloppes de financement d’études d’envergure, mise en open data des évaluations nationales et des données d’insertion dans l’emploi, etc.).

Les premières (modestes) briques d’une politique industrielle spécifique : qui se focalise sur les apprentissages et les compétences, qui s’appuie sur des infrastructures mutualisées et territorialisées (si besoin séparées des autres régions du monde) dont la gouvernance garantit, by design, la souveraineté, qui parie sur les technologies françaises déployées par nos edtech dont on défend les partis pris (ce sont des éditeurs) et valorise le savoir faire. Une politique qui fait le choix d’un déploiement pérenne, sobre, en conformité avec un cadre éthique exigeant.

Chiche ?

[1] Par exemple : les analyses de l’INSERM ou encore les analyses d’INRIA

Publié le 14/10/2025

Une tribune écrite par

Orianne Ledroit