Depuis une dizaine d’années, tout le monde s’accorde à dire que le continent africain est porteur d’un dynamisme inédit et inégalé sur la planète. On constate par ailleurs que ce continent est de loin le plus jeune, puisque dans de nombreux pays la médiane d’âge de la population n’excède pas 20 ans. Autant dire que les enjeux d’éducation sont immenses. On estime qu’entre 2020 et 2040, le nombre de jeunes Africains terminant leurs études secondaires ou supérieures devrait doubler pour passer de 103 millions à 240 millions. Bien que le taux d’inscription dans l’enseignement supérieur soit en hausse et qu’il ait plus que doublé entre 2000 et 2021 (pour passer de 4 % à 9 %), il reste faible, aux alentours de 9%, soit nettement en-dessus de la moyenne mondiale située à 38%.

Avec des infrastructures très en retard par rapport au reste du monde, l’Afrique s’est naturellement tournée vers le numérique pour assurer son développement et pour fournir une éducation de qualité à ses jeunes habitants.

Par exemple, d’après une étude Etudesk, le marché de l’e-learning en Afrique connaît une croissance exponentielle. Estimé à 3,4 milliards USD en 2024, il devrait atteindre 19,7 milliards de dollars d’ici 2034. Ajoutons que le secteur a attiré des investissements significatifs, avec environ 400 millions USD de financement en 2022. Un signal d’autant plus important que le nombre croissant d’utilisateurs de smartphones (plus de 500 millions actuellement) contribue au développement de l’apprentissage mobile.

Pour autant, les défis sont encore énormes et méritent que les Robots y portent attention.

Au premier rang, il y a de graves insuffisances sur le plan de l’infrastructure numérique. Elle est limitée, coûteuse, et le coût élevé des appareils et de l’internet, ou l’accès inégal à une alimentation électrique fiable et les disparités régionales en matière de connectivité, entravent l’adoption et l’utilisation efficaces de la EdTech.

Un deuxième sujet mérite d’être souligné : le manque de compétences dans le numérique sur le plan local, auquel s’ajoute de fortes disparités régionales ou d’un pays à l’autre. Il existe un fort besoin d’établir des programmes de formation pour les enseignants et les apprenants sur les compétences numériques de base pour faciliter l’adoption des solutions EdTech.

Les autres défis sont, comme pour toutes les économies, ceux de l’accès aux financements et du cadre réglementaire. À titre d’exemple, le secteur EdTech dans la région de l’UEMOA (Union Économique et Monétaire Ouest Africaine) a du mal à attirer les investissements, ne mobilisant que 15 millions USD entre 2010 et 2023.

Les freins rencontrés incluent les barrières linguistiques avec les investisseurs anglophones, la recherche de marchés très valorisés non alignés sur les conditions économiques locales, l’instabilité politique et un cadre juridique insuffisant pour protéger les fondateurs locaux. Pour autant, en ce qui concerne le cadre juridique, les choses évoluent. Certains pays adoptent des « Startup Acts », tandis que pour d’autres, les réglementations traitent souvent les entreprises EdTech comme des entreprises de formation conventionnelles.

Focus sur les EdTech dans la région de l’UEMOA :

La région de l’UEMOA compte huit pays membres : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo ainsi que la Guinée-Conakry. Son écosystème EdTech est en plein développement mais il est confronté à des défis spécifiques.

Une étude de Etudesk, soutenue par la Mastercard Foundation, a identifié 73 startups EdTech et plus de 60 catalyseurs (hubs et initiatives) dans la région de l’UEMOA fin 2023. La Côte d’Ivoire et le Sénégal concentrent environ 80% de ces startups, ce qui est considérable.

Les startups EdTech de l’UEMOA se concentrent principalement sur le tutorat, les systèmes de gestion, le contenu et les bootcamps. La majorité des startups ciblent le segment B2C (70%), tandis que les relations B2B et B2G sont moins développées.

Quelles sont les initiatives lancées par les gouvernements africains ?

Fort heureusement, il y a une véritable prise de conscience devant l’urgence éducative dans de nombreux pays. Ainsi, plusieurs gouvernements reconnaissent l’importance de l’éducation numérique et lancent des initiatives. C’est le cas au Nigéria, où le gouvernement nigérian a montré un engagement fort en faveur de l’amélioration de l’infrastructure numérique avec des politiques comme le National Broadband Plan et des initiatives comme Project 774, qui visent à réduire la fracture numérique en connectant davantage de citoyens à internet (actuellement encore 40% de la population nigériane n’a pas d’accès à internet, notamment dans les zones rurales).

Pour leur part, les gouvernements de l’UEMOA mettent en place des initiatives comme « Learn at Home » et « School TV » au Sénégal, « Digital School for All » au Togo, le « Digital Bridge Project » au Niger et le projet « School of the Future » en Côte d’Ivoire.

Mais c’est surtout l’UNESCO qui dynamise le changement dans le domaine de l’éducation avec un programme continental « transformer l’éducation en Afrique grâce aux TIC » qui encourage le développement humain et social en Afrique grâce à l’utilisation des technologies de l’information et de la communication pour l’éducation (TICE). Un rapport d’étape a été présenté au Forum sur la qualité de l’apprentissage numérique public, le 22 novembre 2022, et au séminaire transnational du projet « Transformer l’éducation en Afrique grâce aux TIC », les 23 et 24 novembre 2022, à Dakar, au Sénégal.

Extraits :

« Pour surmonter les nombreux défis liés à l’apprentissage et à la transformation numériques, l’appel à l’action : « Assurer et améliorer la qualité de l’apprentissage numérique public pour tous », s’articule autour de trois dimensions interconnectées :

Contenu

Un contenu numérique d'enseignement et d'apprentissage de haute qualité et pertinent pour le programme scolaire doit être mis à la disposition de tous les apprenants, enseignants et soignants par le biais de plateformes d'apprentissage numériques.

Capacité

La capacité à utiliser la technologie numérique pour améliorer l'apprentissage doit être renforcée afin de s'assurer que les enseignants, les apprenants et les autres parties prenantes de l'éducation ont les compétences et les connaissances nécessaires pour tirer parti des outils numériques pour l'apprentissage en utilisant des approches fondées sur des preuves.

Connectivité

La connectivité numérique permet de s'assurer que toutes les écoles et tous les individus peuvent bénéficier des avantages éducatifs qui découlent d'une connexion internet de bonne qualité.

En réponse à cet appel à l’action, l’UNESCO et l’UNICEF ont lancé une initiative conjointe intitulée « Passerelles vers l’apprentissage numérique public » (2023-2025) afin de garantir que chaque apprenant, enseignant et famille puisse facilement accéder, trouver et utiliser des contenus éducatifs numériques de haute qualité et conformes aux programmes scolaires. »

Les acteurs du monde économique sont également engagés dans ce vaste enjeu continental comme en témoigne l’importante activité de la Mastercard Foundation. Celle-ci multiplie les initiatives et les récompenses en direction des EdTech africaines, afin de favoriser leur financement et leur développement.

Par exemple, elle soutient Eneza Education pour lancer la plateforme d’apprentissage SMS Shupavu au Rwanda. Cette plateforme permet aux étudiants d’accéder à des leçons, des quiz et à une fonction « Demander à un enseignant » via SMS, sans nécessiter de connexion internet. Ce service était gratuit pour certains niveaux jusqu’en juillet 2021.

« Alors que de nombreuses technologies éducatives dépendent d’une connexion internet, Eneza est assez unique dans son focus sur l’apprentissage via SMS sans besoin de données ou de connectivité. Cela le rend accessible à la majorité des ménages, y compris les plus vulnérables. » (Rica Rwigamba, Mastercard Foundation).

Par ailleurs, le Partnership for Digital Access in Africa (PDAA) vise à connecter un milliard de personnes d’ici 2030 en élargissant l’accès à internet abordable, en réduisant le coût des appareils et en améliorant les compétences numériques. Cet organisme, financé par de nombreux partenaires privés, accueille dans son conseil consultatif pas moins de 5 ministres : Paula Ingabire, ministre TIC et Innovation du Rwanda, Cina Lawson, ministre de l’économie digitale et de la transformation du Togo, Mariam Hamadou, ministre déléguée à l’économie digitale et à l’innovation, Aurélie Adam Soule Zoumarou, ministre de l’économie digitale et des communications du Bénin, et Ursula Owosu-Ekuful, ministre de la communication et de la digitalisation du Ghana, toutes des femmes engagées pour leur pays.

En février 2023, le centre d’innovation associé à la Fondation Mastercard s’est engagé pour soutenir les jeunes entreprises du secteur de l’éducation. Un programme d’accélération de trois ans a permis de sélectionner 12 entreprises qui seront ainsi accompagnées dans leur développement.

La fondation soutient d’autre part des hubs et incubateurs EdTech en Afrique, comme Co-Creation Hub au Nigeria, iHUB au Kenya et Injini en Afrique du Sud, et étend désormais son soutien aux territoires francophones, notamment dans la région de l’UEMOA.

Le secteur EdTech en Afrique est un marché en pleine expansion avec un potentiel de croissance considérable, stimulé par l’augmentation de l’utilisation des smartphones et des initiatives post-pandémie. Cependant, il est confronté à des défis importants, notamment en matière d’infrastructures numériques, d’accès aux financements, de compétences numériques et de cadres réglementaires.

Par exemple, Lightbulb Education est une start-up sud-africaine qui conçoit et gère des environnements d’apprentissage virtuel personnalisés et engageants. Entreprises à la recherche de formation professionnelle, universités et écoles, constituent les 17 000 utilisateurs de la plateforme. Dans une interview donnée à RFI, Allan Mushabe, PDG et cofondateur de Lightbulb Education, rappelle qu’il difficile pour les start-up de l’EdTech d’offrir leurs services gratuitement et à l’échelle du continent. « Notre système est capable de se déployer sur tout le continent, mais ce serait cher… Nous aurions besoin d’énormément de moyens, mais aussi de l’appui des entreprises de télécommunication. Et ils demandent toujours « qu’en est-il de mon bénéfice ? » Ils regarderont systématiquement le coût du déploiement d’une antenne cellulaire et combien cela leur rapportera. Si le ratio n’est pas bon, ils ne le feront pas. »

La région de l’UEMOA, bien que dynamique, est particulièrement touchée par ces défis et nécessite un soutien ciblé. Les partenariats entre des organisations privées, les gouvernements et les startups sont essentiels pour surmonter ces obstacles et exploiter pleinement le potentiel de la EdTech pour améliorer l’accès et la qualité de l’éducation dans toute la région.

De son côté, l’Afrique anglophone semble plus en avance dans l’utilisation des nouvelles technologies et notamment dans les usages numériques adoptés par les populations. De très nombreuses start-ups naissent et prennent pour objectif l’accès à la connaissance du plus grand nombre.

Ainsi les prochaines années diront si le continent africain dans son ensemble met en œuvre suffisamment de moyens pour déployer des solutions technologiques émergentes et prometteuses.

Gageons que les gouvernements auront à cœur d’augmenter fortement l’accès à l’enseignement supérieur pour leur jeunesse, comme en témoigne l’annonce d’un enseignement supérieur totalement gratuit dès 2026, de la Présidente de la Namibie.

Quelques startups EdTech intéressantes à suivre en Afrique (hors UEMOA) :

  • Go1 (Afrique du Sud) : Plateforme de développement professionnel et de formation en ligne.
  • uLesson (Nigeria) : Expériences d’apprentissage interactif pour les élèves K-12.
  • Meaningful Gigs (Ghana) : Connecte des designers numériques africains avec des entreprises mondiales.
  • Kukua (Kenya) : Plateforme d’apprentissage basée sur le jeu.
  • Teesas (Nigeria) : Cours vidéo et matériel éducatif numérique adaptés au programme nigérian.
  • Ubongo (Tanzanie) : Contenu éducatif et de divertissement pour enfants.
  • Edves (Nigeria) : Infrastructure numérique pour les écoles K-12.
  • eLimu (Kenya) : Contenu éducatif numérique et outils d’apprentissage interactifs.
  • Klas (Nigeria) : Plateforme pour les éducateurs pour enseigner en ligne.
  • 9jaCodeKids (Nigeria) : Initie les enfants au codage et à l’IA.
  • Orcas (Égypte) : Connecte les étudiants avec des tuteurs.
  • d6 Group (Afrique du Sud) : Systèmes de gestion intégrés pour les écoles.
  • Semicolon Africa (Nigeria) : Programmes de formation axés sur la technologie.
  • SchoolHeadOffice.co.za (Afrique du Sud) : Solutions de gestion pour les établissements d’enseignement.
  • Thuma Mina Teaching (Afrique du Sud) : Développement et soutien des enseignants.
  • Caif (Sénégal) : Services de formation professionnelle.
  • Carbin Africa (Nigeria) : Initiatives d’éducation et de formation automobile.
  • Techeconomy.ng (Nigeria) : Plateforme fournissant des informations sur la technologie.

Voir aussi :  https://youtu.be/DVuGS2y0ziM?feature=shared

Publié par EdTech Hub, un organisme qui aide les Edtech à se développer sur certains pays africains

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