Comment faire de la connaissance ce qui fait ou fera la
différence ?

Publié le 14/10/2025

Une interview de
Nejma Travaglini, CEO de Nolej

Pour comprendre comment la connaissance devient un facteur de différenciation, il faut d’abord revenir à son origine et à la manière dont nous l’acquérons. Mon co-fondateur, Philippe, a forgé le concept de «offroad learning» pour décrire tout le savoir que nous accumulons en dehors des contextes de formation traditionnels et cloisonnés, comme l’école ou l’entreprise. Ce savoir, disponible partout autour de nous, notamment en ligne, est immense. L’enjeu initial de Nolej était de trouver un moyen de capturer cette connaissance foisonnante pour la rendre interactive et assimilable par l’humain, et surtout, de la rendre disponible au moment précis où nous en avons le plus besoin.

Cependant, l’accès à cette connaissance ne suffit pas. Ce qui fera réellement la différence, c’est notre capacité à utiliser cette connaissance dans des situations nouvelles. Il ne s’agit pas seulement de posséder une information, mais de savoir la mobiliser, de créer des connexions entre ce que nous savons déjà et les défis inédits auxquels nous faisons face. Cette capacité repose sur des processus mentaux qui nous sont propres, comme la vitesse de traitement de l’information ou notre mémoire de travail, mais surtout sur la métacognition : notre aptitude à nous connaître nous-mêmes, à comprendre comment nous fonctionnons.

Par exemple, ayant moi-même un trouble déficitaire de l’attention, j’ai une capacité de réflexion en arborescence qui me permet de créer des connexions différentes de celles d’autres personnes. Face à un problème, sans mode d’emploi, je peux mobiliser mes connaissances pour en créer un, précisément parce que mon cerveau fonctionne différemment. La différence ne se situe donc pas dans la connaissance elle-même, mais dans la manière dont nous l’utilisons en fonction de nos spécificités cognitives.

Il est donc crucial de devenir acteur de sa propre connaissance, d’éviter la paresse intellectuelle qui consisterait à se reposer systématiquement sur une mémoire externe comme ChatGPT. L’effort cognitif pour aller chercher une information dans notre propre cerveau est ce qui nous permet de «débloquer» des savoirs et de les adapter de manière créative à de nouvelles situations.

D’ailleurs, l’expérience et l’âge jouent un rôle clé. On distingue l’intelligence fluide (la capacité à résoudre des problèmes nouveaux) de l’intelligence cristallisée (la connaissance accumulée au fil de la vie). Avec le temps, notre intelligence cristallisée se consolide, notre base de connaissances devient plus solide et nos représentations mentales plus profondes, même si notre intelligence fluide peut légèrement décliner. C’est bien la preuve que la connaissance, lorsqu’elle est profondément intégrée, reste un puissant levier de différenciation.

Faut-il créer plus de contenus ou de meilleurs contenus pédagogiques ?

C’est une question centrale, surtout à l’heure de l’IA générative qui peut nous faire craindre une surproduction de contenus au détriment de la qualité. De mon point de vue, les deux aspects sont importants et complémentaires.

Produire plus de contenus permet d’atteindre une granularité très fine. Avec l’IA, on peut démultiplier les ressources pour répondre de manière extrêmement précise et personnalisée aux besoins spécifiques de chaque apprenant. Plus un contenu est personnalisé, plus il a de chances d’être pertinent et efficace.

Cependant, la quantité ne remplace pas la qualité. La question est : qu’est-ce qu’un «meilleur contenu» ? La recherche en psychologie cognitive nous donne des pistes très claires. Par exemple, une étude a montré que sans un titre clair, les participants étaient incapables de comprendre un texte, même simple. La segmentation, les titres, ou encore les principes de cohérence visuelle (principes de la Gestalt) sont essentiels pour construire une représentation mentale et faciliter la compréhension.

Mais le facteur le plus déterminant n’est ni la quantité ni la qualité intrinsèque du contenu, mais le niveau d’engagement cognitif de l’apprenant. Le modèle théorique ICAP (Interactif, Constructif, Actif, Passif) l’illustre parfaitement. Lire un texte est une activité passive. Mais si, en lisant, vous faites des liens avec vos connaissances antérieures, vous passez à un niveau actif. Si vous élaborez à partir de ce que vous lisez, vous êtes dans le constructif. Si on reste passif, peu importe que le contenu soit de qualité ou abondant, l’apprentissage sera limité. L’enjeu est donc de concevoir des contenus qui poussent l’apprenant à être acteur, à ne pas se contenter de consommer l’information.

En quoi l’IA est-elle indispensable à la création de contenus pédagogiques ?

L’IA n’est pas seulement un outil de productivité pour créer plus vite ; elle transforme en profondeur la manière dont nous pouvons concevoir et utiliser les contenus pédagogiques. Son apport est triple :

1. La mise à jour constante des connaissances : le monde évolue à une vitesse folle. Les métiers d’aujourd’hui, comme «prompt engineer», n’existaient pas il y a quelques années. Une enseignante qui doit préparer un cours sur l’orientation scolaire peut difficilement maîtriser seule toutes ces nouveautés. L’IA lui permet de prendre un article très récent, de le croiser avec ses propres contenus de référence, et de générer en quelques minutes un cours à jour et pertinent pour sa classe.

2. La personnalisation et l’apprentissage adaptatif : c’est l’un des apports les plus puissants. L’IA permet d’adapter un contenu aux centres d’intérêt de chaque élève pour renforcer sa motivation. Par exemple, pour un cours de géologie, on peut utiliser des contenus sur les volcans pour un élève passionné par ce sujet, ce qui aura un impact direct sur son intérêt et donc son engagement. De même, l’IA peut adapter le niveau de langage d’un contenu. Sur Nolej, suite à la demande des enseignants, nous avons intégré une fonctionnalité basée sur le FALC (Facile à Lire et à Comprendre) pour rendre les textes accessibles à des élèves qui ne maîtrisent pas parfaitement la langue française ou qui ont des difficultés de compréhension. On peut ainsi ajuster un même savoir pour un collégien, un lycéen ou un étudiant en master.

3. Un instrument au service de la pédagogie, y compris hors écran : une découverte surprenante a été que les enseignants ne voulaient pas seulement des contenus numériques. Ils nous ont demandé de pouvoir imprimer, exporter en Excel ou en PowerPoint pour pouvoir ensuite «faire leur propre cuisine» en classe. L’IA devient alors un assistant, un robot de cuisine qui prépare les ingrédients, mais c’est bien l’enseignant qui reste le chef, au cœur de la conception et de la transmission. Le contenu généré par l’IA peut parfaitement servir de base à une activité de groupe sur papier ou à une discussion au tableau.

Quelle place restera-t-il pour le talent lorsque nous aurons tous accès à la même connaissance ?

Loin de gommer le talent, je pense que l’IA va au contraire nous pousser à le révéler et à le cultiver. L’accès universel à la connaissance ne rend pas tout le monde égal. Prenez l’exemple des sportifs de haut niveau : ils ont accès aux mêmes coachs, aux mêmes entraînements, mais certains se démarquent grâce à des spécificités individuelles, qu’elles soient physiques ou cognitives.

C’est cette singularité qui constitue leur talent.

L’IA devrait nous inciter à délaisser les activités passives pour nous focaliser sur des tâches plus difficiles, celles qui nous challengent et nous poussent dans nos retranchements. C’est dans la difficulté que la créativité et le talent s’expriment. Chacun de nous possède des aptitudes uniques. Un de mes collaborateurs, musicien, est capable d’entendre un son infime et strident dans une pièce bruyante que personne d’autre ne remarque, car il a une oreille parfaite. C’est un talent que des années d’entraînement ne me permettraient sans doute jamais d’égaler. L’IA ne remplacera jamais cela.

Le vrai risque n’est pas que l’IA efface le talent, mais que nous tombions dans la passivité, comme avec les algorithmes de plateformes comme TikTok, conçus par des experts du cerveau humain pour nous rendre addicts. En tant que concepteurs de technologies, nous avons la responsabilité de créer des outils qui ont une utilité réelle et qui favorisent l’autonomie et le sentiment de compétence. Il faut éviter les «détails séduisants», ces éléments visuels superflus qui alourdissent la charge cognitive sans rien apporter à l’apprentissage.

Le plus important est que l’utilisateur, qu’il soit enseignant ou apprenant, se sente à l’origine de ce qu’il produit, qu’il ait la satisfaction d’avoir créé quelque chose de valeur. C’est ce sentiment de compétence et de fierté qui donne vie à la connaissance et qui, au final, est la plus belle expression du talent humain.

Publié le 14/10/2025

Une interview de

Nejma Travaglini, CEO de Nolej