Le printemps arrive et l’on souhaiterait que tout s’éclaircisse dans notre quotidien. C’est certainement ce que pensent des milliers d’étudiants qui ont eu bien du mal à traverser l’hiver. Si l’on en croit les chiffres publiés dans plusieurs études en ce début 2024, la précarité étudiante n’a jamais été aussi importante en France. A tel point que Monsieur Michel Canevet, sénateur du Finistère, a récemment interpellé Madame Sylvie Retailleau, Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche en ces termes lors des questions au gouvernement: « la précarité étudiante est devenue une situation préoccupante en France qui s’illustre à travers des statistiques alarmantes au point de pousser la fédération des associations générales étudiantes (FAGE), première organisation étudiante représentative de France, de parler désormais de ‘pauvreté étudiante’ ».

Et son constat chiffré est suffisamment éloquent pour que l’inquiétude se propage, y compris au sein des Robots. « Selon l’observatoire de la vie étudiante, 25 % des étudiants déclarent ne pas avoir assez d’argent pour couvrir leurs besoins de première nécessité et 20 % rencontrent de grandes difficultés financières liées à l’inflation des prix des produits alimentaires depuis la crise sanitaire, mais également au coût des logements. Les étudiants sont particulièrement sensibles à la hausse récente du coût de la vie. Un tiers d’entre eux saute « souvent » ou «de temps en temps » un repas par manque d’argent, soit en moyenne 3,5 repas par semaine, et 45 % craignent de tomber dans la pauvreté, selon une enquête réalisée par l’institut français d’opinion publique (IFOP) et l’association de distribution d’aide alimentaire COP1. »

Nous avons voulu en savoir davantage et explorer les dispositifs imaginés par les uns et les autres, afin de pallier cette situation qui provoque de nombreux drames au sein de la jeunesse.

Pendant les deux années de pandémie de Covid-19, l’essentiel des efforts fournis par les établissements et l’ensemble des acteurs de l’enseignement supérieur, s’est concentré sur l’accès aux cours, via les outils numériques. La précarité prenait alors des accents de fracture digitale, pour tous celles et ceux dont les équipements ou les moyens de connexion n’existaient pas. Nous avions d’ailleurs mené notre propre enquête, en collaboration avec l’association VP-Num, pour révéler les lacunes, les trous dans la raquette au niveau des universités françaises. Mais depuis un retour à la quasi normale, l’angoisse a changé de décor et se reporte plus en amont sur la faiblesse des ressources de vie, dans la communauté étudiante. Le coût de la vie ayant explosé avec une inflation dépassant la barre des 10%, et proche de 20% sur l’alimentaire, les étudiants de France ont plongé dans une véritable misère, pour une large part d’entre eux.

Une étude, réalisée par la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE), intitulée « Bouge ton Crous » illustrait ce sombre constat dès janvier. D’après le syndicat, qui a interrogé 7 531 étudiants en France métropolitaine entre septembre et décembre 2023, « ils étaient 19 % à déclarer ne pas manger à leur faim et ainsi sauter plus de trois repas par semaine. Et 49 % d’entre eux affirmaient ne pas avoir les moyens d’acheter des fruits et légumes frais de manière hebdomadaire. Par ailleurs, 28 % des étudiants boursiers estimaient ne pas être en mesure de remplir leur assiette, contre 16 % des non-boursiers ».

Rappelons ici que le coût moyen de la vie étudiante en 2021 a atteint environ 12 870 euros par an, une somme qui dépasse largement le montant des bourses attribuées, et qu’il a considérablement augmenté au cours des deux dernières années.

Or ce constat d’une fragilisation extrême sur le plan économique s’ajoute à celui d’un épuisement toujours plus grand au sein de la même population. Ainsi, la dernière enquête nationale « Conditions de vie des étudiants », menée par l’Observatoire national de la vie étudiante au printemps 2023, pointe également une fragilisation de la santé mentale des jeunes, 60 % des étudiants déclarant s’être sentis « en permanence ou souvent épuisés ». Tandis que plus d’un tiers d’entre eux manifestent des symptômes de détresse dans les quatre semaines précédant leur réponse à l’enquête.

Quelles sont les actions mises en place ? Quelles sont les initiatives remarquables développées face à cette crise qui touche près de 20% des étudiants en France ?

Le gouvernement a réagi dès la rentrée 2022 en débloquant 10 millions d’euros d’aides supplémentaires, comme l’explique Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées :

« Il est indispensable de répondre à la situation de détresse rencontrée par de trop nombreux étudiants, à qui nous devons apporter le soutien nécessaire pour qu’ils puissent se concentrer sur leurs études. Au-delà des 10M€ que je débloque aujourd’hui contre la précarité alimentaire à laquelle trop d’entre eux font face, je compte intégrer pleinement, en articulation avec le travail mené par la ministre Sylvie Retailleau, la situation des étudiants aux grands chantiers de ma feuille de route, à commencer par le Pacte des solidarités que nous conclurons début 2023 avec l’ensemble des acteurs engagés dans la lutte contre la pauvreté. »[1]

Dans le dispositif mis en place par l’État français on note les éléments suivants :

  • Une enveloppe complémentaire de 55 M€ déployée au début de l’automne 2022 pour l’ensemble des associations soit une multiplication par deux des crédits initialement prévus pour l’ensemble de l’année ;

  • La création d’un nouveau Fonds pour une aide alimentaire durable, inscrit dans le projet de loi de finances 2023 et doté de 60 M€, qui permettra de soutenir des achats de produits frais durables et sous labels de qualité pour les 4 millions de bénéficiaires de l’action des associations ;

  • Le maintien de la tarification sociale des repas aux CROUS à 1€ pour les étudiants boursiers et précaires, et à 3,30€ pour tous les autres étudiants ;

  • La hausse de 4 % des bourses sur critères sociaux à la rentrée 2022, le versement d’une aide exceptionnelle de 100€ à plus d’1,5 million d’étudiants, ainsi que la revalorisation des APL de 3,5 % et le gel des loyers dans les résidences étudiantes.

Insuffisant clameront certains, non sans raison au regard de la situation observée sur le terrain. Mais au-delà de l’État, le monde universitaire et la communauté étudiante ont toujours fait preuve d’un niveau de solidarité très au-dessus de la moyenne. De nombreuses idées ont ainsi émergées pour couvrir les besoins primaires : se nourrir et se vêtir.

Nous avons eu le plaisir de rencontrer le porteur du projet Linkee (lire son interview ici) et Julien Meimon est très clair sur le sujet, les mesures sont insuffisantes puisque près de 3 étudiants sur quatre disposent de moins de 100 euros par mois pour se nourrir (soit moins de 3,33 euros par jour). Des chefs renommés comme Thierry Marx et Christophe Michalak soutiennent l’association en offrant de la nourriture et contribuant à la redistribution sur une vingtaine de points en France.

« Depuis octobre 2020, nous apportons une aide alimentaire durable aux étudiant.e.s en situation de précarité. Chaque étudiant.e. peut venir récupérer un colis de 5 à 7kg composé de fruits et légumes bio ou issus de l’agriculture vertueuse, de produits laitiers et secs ainsi que des plats cuisinés par nos chef.f.e.s en circuits courts ou par nos bénévoles. »

Le comédien Jonathan Cohen s’est lui aussi engagé concrètement en faveur des étudiants en participant en personne à des distributions et en communiquant sur Youtube. Et Linkee n’est pas la seule association présente pour leur venir en aide.

Sur le plan vestimentaire, le constat est tout aussi grave. C’est pourquoi Yovann Pigenet, fondateur d’Équipage Solidaire, envisage d’ouvrir une boutique « Dressed » dans toutes les villes où le service Delivr’Aide est déjà présent, à horizon 2025.

L’association a déjà collecté 1 450 kilos de textile, soit 10 209 vêtements redistribués à près de 3 200 étudiants précaires dans sa boutique parisienne. Et la demande ne fait qu’augmenter. [2]

« On n’était pas en mesure de répondre à tout le monde, explique Yovann Pigenet. C’est là qu’on a décidé de créer une appli et d’ouvrir les dons de vêtements aux particuliers. On a eu près de 6 000 inscriptions en 72 heures ! On ne s’attendait pas à un tel engouement. Depuis, on ouvre chaque semaine et aide plusieurs centaines d’étudiants. »

L’élan de solidarité est réel. La situation dramatique de certains étudiants ne laisse personne indifférent, et c’est pour le moins normal, dans un pays qui clame haut et fort, par la voix de son Président que l’éducation est une priorité absolue. Or accéder dans des conditions décentes à l’enseignement supérieur est un impératif dans une démocratie qui promeut sur son fronton la fraternité et l’égalité.

Nous, les Robots, sommes convaincus et engagés à promouvoir les initiatives qui permettent cet accès équitable pour tous et toutes, à l’éducation. Nous croyons que vous aussi !