Jean-Baptiste Morin est le fondateur de BeHave Orientation & Careers, une EdTech d’orientation qui aide les étudiants à construire leur projet professionnel et leur carrière.
Les Robots : Nous entrons dans ce que vous appelez le siècle de la connaissance de soi, où cette dernière fait la différence, notamment dans le recrutement et la carrière. Il est assez paradoxal d’imaginer que, pour regarder à l’intérieur de soi et comprendre qui l’on est, nous ayons besoin d’une Intelligence Artificielle. Avons-nous vraiment besoin de l’IA pour la connaissance de soi ?
Jean-Baptiste : Je ne pense pas que nous en avons besoin de façon aussi absolue, mais ce qui est certain, c’est qu’il faut voir l’IA pour ce qu’elle est : un moyen, non pas une fin. Le cœur de ma démarche doctorale et entrepreneuriale, c’est la question de la maturité professionnelle. Une personne est d’autant plus mature, et notamment lorsqu’il s’agit d’orientation professionnelle, qu’elle se connaît bien.
Dans ce contexte, l’IA est un formidable accélérateur, à condition qu’elle soit bien domptée, bien structurée, bien canalisée et qu’elle s’inscrive dans un processus pédagogique réfléchi, notamment lorsqu’il est question d’orientation pour des étudiants/jeunes adultes. Ainsi par exemple, notre outil utilise l’IA pour aider l’étudiant à faire la relecture de sa propre vie. Pensez-y : ce n’est ni anodin, ni intuitif, surtout quand on est jeune, de mettre des mots sur ses expériences — huit ans de foot, du babysitting, un engagement dans une ONG, un job d’été dans un supermarché, etc… Que faut-il en retenir, quelles compétences transférer au monde professionnel (Have), quels traits de personnalité cela dit de chacun (Be) en fonction du plaisir ou de l’efficacité au cours de telle activité ? C’est là que l’outil intervient pour aider l’étudiant.
L’IA, quand elle est conçue de manière ciblée à travers une bonne qualité de prompts, eux-mêmes rédigés sur la base des tendances les plus éprouvées en matière de psychologie de l’orientation, peut poser des questions précieuses, invitant à l’introspection et surtout configurées sur le parcours de vie de chacun. Elle délivre alors à l’étudiant, des « items d’orientation » suggestifs, et l’invitant à identifier ceux qui lui parlent le plus. L’étudiant ne se dit pas « l’IA m’a dit qui j’étais », mais plutôt : « elle a juste accéléré le processus de relecture et d’analyse et mis des mots explicites, des mots clés » sur ce qu’il a fait et ce qu’il est ou pense être à cet instant de sa vie.
Les Robots : Si l’on fait un parallèle avec une partie de votre travail, celui de chercheur, est-ce que l’IA en général, utilisée habilement, peut s’insérer dans votre réflexion et vous proposer des pistes de réflexion nouvelles ? Comment travaillez-vous avec cet outil ?
Jean-Baptiste : Ah, là, vous touchez vraiment au cœur de mon activité de doctorant. Je suis en plein dans ma revue de littérature, l’« état de l’art ». Mon objectif est de compiler et cartographier tout ce qui a été fait dans l’orientation autour de ma thématique de recherche depuis un siècle pour identifier le fameux « trou dans la raquette ».
L’IA est un accélérateur d’analyse détaillée. Elle me permet de décortiquer un article de 50 pages en 10 minutes pour en extraire les éléments centraux. Elle est particulièrement efficace pour confronter des groupes de mots ensemble entre différents auteurs ou articles.
Cela dit, il ne faut pas se laisser berner par les hallucinations potentielles. Mais comme je commence à devenir expert de mon sujet et de plus en plus à l’aise dans la posture de chercheur, je maîtrise « l’art de questionner l’IA ». Lorsque mes questions sont très ciselées, elle hallucine beaucoup moins.
L’IA me fait voyager dans la connaissance. Je ne dirais pas qu’elle m’ouvre des perspectives entièrement nouvelles, mais elle accélère ce que j’aurais probablement mis six mois ou un an de plus à trouver par moi-même. En tant qu’entrepreneur qui fait son doctorat à temps partiel, je pense pouvoir gagner peut-être un à deux ans sur ma thèse grâce à cet accélérateur. Ce gain de temps est essentiel pour dépasser la phase de revue de littérature et me confronter plus rapidement au terrain.
Les Robots : En vous écoutant, l’IA joue un rôle de catalyseur qui vous pousse au dialogue avec la connaissance et à l’avancement. Ce mécanisme de confrontation à la difficulté, n’est-il pas vrai finalement de tous les sujets de recherche, y compris les sciences dures comme la médecine ?
Jean-Baptiste : Absolument. Ce que je pressens, c’est que cela concerne notre rapport à la difficulté, à l’aridité au sens large, même dans notre vie quotidienne.
J’aimerais prendre une analogie très simple, celle du sport et de la croissance musculaire. On m’a toujours dit que pour se muscler, il faut que le corps souffre… Si tu fais 10 pompes par jour pendant six mois, ta musculature ne se développera pas, car tes muscles se seront habitués. Pour te développer, il faut passer à 11 ou 12 etc…. Le corps doit consentir à la difficulté, car c’est elle qui est le déclencheur d’une croissance, qu’elle soit intellectuelle, musculaire ou professionnelle.
Dans la recherche, c’est la même chose. L’état de l’art peut être frustrant et éprouvant, car il faut cartographier le terrain avec une grande rigueur. Mais c’est cette confrontation à la difficulté intellectuelle, ce moment où l’on est bloqué devant l’étendue de la tâche (comme l’étudiant qui ne sait pas quoi dire de ses 8 ans de foot), qui provoque la progression et en l’occurrence qui muscle la capacité du chercheur.
Si l’on ne se confronte pas à cette difficulté, si l’on ne « souffre pas » dans notre quête, on ne progresse pas. Autrement dit : « si d’une certaine façon on ne souffre pas quand on veut chercher quelque chose, c’est qu’on n’est pas encore vraiment dans une démarche de recherche ». L’IA ne doit pas gommer cet effort, elle doit nous aider à le surpasser une fois qu’on s’y est confronté.
Les Robots : Merci Jean-Baptiste !
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