Cela fait maintenant plus de six mois que les étudiants n’ont pas eu cours en présentiel plus de deux semaines consécutives, et l’avenir de cette nouvelle année est toujours incertain. Derrière leurs écrans chez leurs parents pour les plus chanceux, ou dans leur 9m2 pour certains, ils s’efforcent de suivre leur cours en ligne. Ils  font partis “des derniers confinés”, comme l’énonce Nathan Tedga, président d’une association d’étudiants à Mulhouse,  dans une lettre ouverte au Président de la République.  L’impact de la crise sanitaire sur la santé mentale des étudiants est lourd, et nécessite toute notre attention.

Pourquoi ouvrir les commerces sans ouvrir les universités ? Pourquoi les lycéens, BTS et classes préparatoires peuvent-ils avoir cours en classe, alors qu’ils sont aussi nombreux que les universitaires en salle de TD ? Les étudiants se sentent si peu considérés qu’une tendance #étudiantsfantômes est apparue la semaine dernière sur Twitter, déplorant l’inaction face à une situation qui connaît de plus en plus d’incidents.  

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Des étudiants en fracture numérique et en détresse psychologique

En plus d’un sentiment d’injustice, les étudiants sont confrontés à l’isolement. Déconnectés de la réalité et de la vie du campus, il est difficile de rester concentrés et motivés. Lors du premier confinement, huit étudiants sur 10 avaient déjà peur d’un décrochage scolaire. Pour 40,5% des étudiants interrogés par l’Article 1*, c’est le contact et l’échange avec les professeurs lors des cours physiques qui leur manque le plus.

La vie extrascolaire est également essentielle dans leur réussite. Pour Rose, étudiante en dernière année de droit, il est difficile de garder le moral, et les moments de vie qui lui permettaient de souffler lui manquent :

“ lorsque je reste chez moi, et que des mauvaises nouvelles arrivent, je ne peux pas y échapper. Au-delà du fait que mes cours ne sont pas forcément motivants, ne pas pouvoir me changer les idées avec mes amis rend la tâche encore plus lourde.” 

Viennent s’ajouter sur les épaules des étudiants leurs inquiétudes financières. Selon un rapport de l’Insee datant du début de l’année 2020, 1 étudiant sur 4 travaille au cours de ses études, pour subvenir à ses besoins. Des jobs étudiants qu’ils ont majoritairement perdus durant la crise sanitaire. 45 % des jeunes interrogés par Article 1* en novembre 2020 sont préoccupés par leur situation. La précarité étudiante n’est pas nouvelle et était déjà en augmentation avant le confinement dû à la hausse des loyers et des coûts matériels. La transition numérique, qui a un coût pour l’étudiant, crée une nouvelle faille dans l’accessibilité à l’enseignement supérieur. C’est ce que l’on appelle la fracture numérique. 

Le terme de fracture numérique désigne l’inégalité d’accès aux outils numériques et un écart creusé par des coûts matériels plus importants. Passer en distanciel signifie disposer d’un ordinateur, d’une bonne connexion internet, et dans la mesure du possible, un environnement facilitant le travail. Ces conditions ne sont pas facilement disponibles et selon létude que nous avons menée après le premier confinement, 2% des étudiants sont encore concernés. En novembre, près des trois quarts des 700 jeunes interrogés par Article 1 , association de lutte pour l’égalité des chances, sont stressés et épuisés par l’incertitude ambiante liée à la crise.

* association de lutte pour l’égalité des chances

Quelles solutions sont mises en place ?

Des solutions sont mises en place par les universités pour réduire cette fracture, en mettant à disposition des ordinateurs et des clés 4G aux étudiants qui n’y ont pas accès. Ainsi, notre étude a révélé que lors du premier confinement, plus de 4800 ordinateurs ont été mis à disposition des étudiants, et plus de 1000 ont été donnés. De belles initiatives financées en majorité par les universités et qui pour le deuxième confinement ont été soutenues par certaines régions. 

Les universités organisent un retour en présentiel par petits groupes, en priorisant la venue des élèves considérés comme étant les plus fragiles et les plus touchés par cette crise. S’il est très utile et permet aux étudiants d’entrevoir un mouvement dans les mesures prises par le gouvernement, les étudiants sont à bout de souffle, et demandent, à juste titre, une considération plus importante. 

Les étudiants sont-ils de plus en plus confrontés à une détresse psychologique ?

La vie d’étudiant avant la Covid était déjà une source de stress. 15% d’entre eux, selon les critères issus des classifications internationales, souffrent d’un épisode dépressif contre 11% dans la population française totale en 2018*. Ces chiffres sont déclarés en augmentation depuis le confinement malgré la difficulté de leurs mesures. En effet, la notion de santé mentale est souvent mal définie et ses indicateurs varient selon les études, comme nous l’explique l’article de The Conversation. 

«Nous n’avons pas encore de chiffres sur le taux de suicide des étudiants depuis le début du confinement. Les anticiper à partir de constats est donc compliqué. Nous savons toutefois selon les statistiques de l’Observatoire de la vie étudiante que les envies suicidaires ont doublé, et que les états dépressifs ont été multipliés par 2,5 », Dr Dominique Monchablon, psychiatre et chef de service du Relais étudiant lycéen à Paris. 

Les centres de santé proposent des prises en charge psychologiques. Mais ils ne sont pas en capacité d’accueillir tous les étudiants :  “ Il y a tout de même un sous-équipement de prise en charge pour les étudiants. De nombreux psychologues ou psychiatres sont spécialisés auprès des enfants ou des adultes. Mais peu auprès des étudiants, des jeunes adultes», souligne la Dr Dominique Monchablon. 

Les universités ne relâchent pas leurs efforts et prennent en considération la situation des étudiants. En ressortent de belles initiatives, telles que les réveillons des fêtes de fin d’année organisée par l’université de Lille. Les étudiants, professeurs et même psychiatres proposent de l’aide sur les réseaux sociaux, avec des conseils, de l’écoute et des consultations gratuites. Dernièrement, l’université de Rouen a organisé une distribution de cadeaux sur le campus de Mont Saint-Aignan.

” Je suis favorable, en respectant des protocoles adaptés,  à la réouverture des universités “ – Valérie Pécresse, BFM TV, 18 janvier 2021

Valérie Pécresse annonce l’ouverture d’un plan de secours étudiant par la région Ile de France, en complément des mesures de l’État. Tout d’abord une mise à disposition de 400 logements pour les élèves en situation de grande précarité. Une plateforme d’écoute dédiée à la prise en charge de la santé mentale étudiante ecouteetudiants-iledefrance.fr permettra aux étudiants d’entrer en contact avec l’un des 150 psychologues, d’évaluer leur état de santé et de bénéficier de consultations gratuites. Enfin, ce plan prévoit le financement de 10 000 ordinateurs et la garantie d’accès à des prêts étudiants.

La dualité des étudiants face au distanciel

Nous entendons beaucoup parler, à juste titre, d’une dégringolade de la santé mentale des étudiants avec cette transition brutale. Qu’en est-il de ceux qui préfèrent le distanciel ? Et oui, ils existent !

Il est intéressant de souligner qu’une partie des étudiants se complaisent dans cette situation. En effet, en les interrogeant, nous nous sommes rendu compte que certains, comme Amanda, préfèrent étudier chez eux :

“ Les campus et les relations sociales avec les autres étudiants sont une source d’angoisse pour moi, et cela m’épuise. Je me suis rendue compte que j’étais bien plus à l’aise et concentrée chez moi ”.

Cela soulève un autre problème qu’est celui des climats anxiogènes que l’on peut trouver sur les campus et sur l’état de santé mentale des étudiants avant la crise. Comme nous l’avons souligné tout à l’heure, 15% des étudiants en 2018 déclarent être en état dépressif.

Pression de la réussite scolaire, problème financier, doute sur l’avenir, et si la pression sociale était également un facteur entrant en jeu ? Vous connaissez tous cette personne qui a mal vécu ses études, c’est peut-être même vous, car vous ne vous sentiez pas en adéquation avec le groupe d’individus avec lequel vous avez étudié. Parce que vous n’arriviez pas à intégrer une méthode de travail impersonnelle, un rythme qui ne vous correspondait pas et qui ne vous laissait pas l’occasion d’explorer d’autres façons d’organiser votre temps,  vous confortant finalement dans l’idée que ce temps là, a été perdu. 

Et si le numérique permettait à chacun de choisir ses modalités d’apprentissage ?

Pour Louise, en dernière année de master, c’est aussi la possibilité de cibler ses apprentissages et d’optimiser son temps. Au lieu de s’ennuyer en classe sur des notions qu’elle a déjà comprises, elle peut s’affairer à d’autres tâches : “ j’ai le sentiment d’avoir retrouvé du temps de vie, et d’utiliser ce temps, durant lequel en présentiel j’allais sur Facebook, pour gérer d’autres projets ”. Cette dualité montre d’abord l’adaptabilité d’une partie des étudiants impressionnante, et ensuite, que le présentiel ne convient pas à tous les profils. N’oublions pas que certains étudiants ont des activités annexes (entreprenariat, charge parentale) ou simplement des difficultés d’adaptation aux formats de cours proposés actuellement (anxiété sociale, difficulté de concentration).

Un nouveau débat s’ouvre suite à ces réponses assez inattendues. Devons-nous forcément nous intégrer à un groupe si nous n’en ressentons pas le besoin ? Le développement de la flexibilité des parcours ne serait-il pas la réponse au problème d’une prise en compte des étudiants incomplète ? Devons-nous appliquer la même pédagogie à des profils hétérogènes ? Bref, pour nous, le numérique est l’occasion de personnaliser son parcours, de le rendre plus flexible et en adéquation avec ses besoins.

L’hybridation pédagogique : nous en sommes convaincus, le numérique et le présentiel sont des notions complémentaires.

Le numérique, en complément du présentiel, crée un champ de possibilité et d’adaptabilité gigantesque. Utiliser les nouveaux outils de manière efficace, c’est pouvoir mettre en place des solutions adaptées aux étudiants, les faire travailler à différents degrés, selon leur maîtrise du sujet. Le numérique peut également permettre de prendre en compte tous les profils d’étudiants, et plus seulement une partie d’entre eux.

Créer de la flexibilité, c’est permettre à tous de suivre ses cours comme il le souhaite. Être étudiant doit être une opportunité d’apprendre, de s’épanouir et d’avancer de manière sereine vers son avenir, et cela passe par l’adaptabilité, et la possibilité de choisir.

Faire confiance aux étudiants, les écouter et prendre en compte leur mode de fonctionnement ne serait-il pas le meilleur moyen de leur proposer des solutions adaptées ?

Et si, eux, qui ont grandi avec le numérique, pouvaient nous apprendre et nous aiguiller dans cette transformation de la pédagogie ?