Bertrand Descours est co-fondateur et dirigeant de Lili for life, une entreprise française qui conçoit des solutions lumineuses innovantes pour faciliter la lecture des personnes dyslexiques.
Les Robots : Lili for Life est un nom très inspirant. Est-ce qu’il a une signification particulière ? Est-ce qu’il y a un rapport direct avec ce que vous faites ?
Bertrand : Oui, absolument. Alors, la première intuition de l’entreprise, c’est d’aider les enfants. Lili, c’est un prénom, c’est un surnom qu’on utilise. Donc c’est un clin d’œil évidemment à tous ceux qui vont utiliser notre technologie. Et puis avec un peu plus de sens, c’est la première syllabe de « light », donc la lumière en anglais, et aussi la première syllabe de « life ». Parce que la conviction technologique de Lili, c’est que la lumière peut amener beaucoup de choses dans la vie et en particulier améliorer la lecture pour les personnes dyslexiques.
Les Robots : En France et ailleurs bien sûr, on a une population importante qui est touchée par la dyslexie dans l’enseignement supérieur ou dans l’enseignement tout court. Est-ce que c’est ce qui vous a animé dès le départ ?
Bertrand : Oui. C’est évidemment notre souhait principal, que d’aider ces personnes. Dans l’enseignement supérieur, on retrouve bien sûr les personnes dyslexiques, comme d’ailleurs dans la vie professionnelle ensuite, parce qu’on reste dyslexique toute sa vie. Et même si on est allé consulter une orthophoniste pendant plusieurs années, on a gardé ce trouble. Quelques chiffres, pour vous préciser les choses : d’après la Haute Autorité de Santé en France, la dyslexie représente entre 6 à 8 % de la population. Et quand on regarde des chiffres au niveau mondial, l’OMS publie plutôt des chiffres autour de 10 %. C’est colossal, dans une université on parle alors de centaines d’étudiants bien sûr.
Les Robots : Alors, qu’est-ce que vos solutions apportent aux personnes atteintes de dyslexie ?
Bertrand : Alors, en fait, cette technologie, je vais me permettre un petit rappel historique, elle est issue justement du travail universitaire de chercheurs à Rennes. Ils ont compris que quand on est dyslexique, on souffre d’un encombrement visuel. Et cet encombrement visuel, on peut le dissiper par un éclairage stroboscopique, une lumière qui va, avec une fréquence réglable, amener un confort de lecture. Ils ont prouvé avec une lampe que l’on facilitait et désencombrait la lecture des personnes dyslexiques, car la dyslexie provient d’un trouble phonologique mais aussi souvent d’un trouble visuel. Lili for Life a décliné cette technologie sur une lampe qui est portative et qui accompagne la mobilité de l’élève, de l’étudiant, du chercheur. Nous avons lancé à Vivatech récemment un moniteur qui intègre aussi cette technologie pour des applications plus digitales.
Les Robots : Cela signifie qu’on va devoir régler sa lampe ou son moniteur en fonction de sa propre dyslexie, parce que qu’on imagine qu’on est tous différents encore une fois ?
Bertrand : Oui, absolument. C’est alors c’est nous l’avons conçu de manière très ergonomique. Si on parle de la lampe, il s’agit d’une application mobile sur son smartphone qui va permettre de régler cette fréquence. Si on parle du moniteur, il s’agit d’une application sur le PC portable ou la tour qui est utilisée et qui va du coup s’afficher. Mais effectivement, la subtilité de notre technologie, c’est d’arriver par itération à déterminer la bonne fréquence au hertz près qui va correspondre à chaque personne dyslexique. Et c’est cette fréquence qui finalement va réaligner le message qui arrive au cerveau et qui va permettre de le désencombrer, de le rendre plus clair. Je faisais encore ce matin un essai avec une personne dyslexique en entreprise, et elle me disait : « Bah tiens, c’était avec notre moniteur, les mots me paraissent plus gros, j’ai l’impression que vous avez zoomé, j’ai l’impression qu’ils sont en 3D ». Donc il y a en fait un vrai désencombrement visuel qui se manifeste et qui du coup a pour conséquence une meilleure fluidité de lecture, moins de fatigue, parce que le sujet de la fatigue cognitive, c’est ça aussi le vrai sujet des personnes dyslexiques.
Les Robots : Est-ce qu’on peut dire que ça va améliorer la performance ?
Bertrand : Oui. Nous travaillons encore avec des chercheurs pour affiner et rationaliser les résultats de tout ça. Donc la performance peut être mesurée par la fluidité de lecture, donc la rapidité de lecture. Elle peut être mesurée aussi, on va y travailler, par le suivi des mouvements des yeux donc avec des trackers pour voir comment on va apaiser la lecture et donc diminuer la fatigue. Et après, je pense qu’il y a un facteur effectivement psychologique, c’est que les personnes dyslexiques ont un syndrome de l’imposteur. C’est-à-dire que je suis assez convaincu qu’un étudiant dyslexique, il intervient moins en moyenne que les autres dans un cours parce qu’il a peur qu’on lui dise : « bien très bien, bah tu nous fais un compte-rendu ou tu nous en parles la prochaine fois, tu liras ce que tu as fait ». La lecture à haute voix pour eux c’est un cauchemar. Donc en fait, il reste un peu en dehors des échanges souvent, ce qui occulte en général des facultés très importantes. Et c’est ça aussi qu’on met en valeur chez Lili for Life, c’est les grosses capacités de ces personnes.
Les Robots : Ce qui nous amène sur un sujet qui est extrêmement important : le sujet de l’inclusion
Bertrand : Totalement. L’écran Lili est très proche visuellement de n’importe quel écran. Il n’est pas reconnaissable. Et le réglage qui a été fait, il est invisible à l’œil ou quasi invisible à l’œil. Et en fait, le but, c’est évidemment que quand quelqu’un dyslexique se connecte, il puisse le faire avec une très grande simplicité. Nous avons conçu notre moniteur pour qu’il serve alternativement sur des postes de travail en Flex Office par exemple ou dans des bibliothèques d’études ou dans des zones partagées alternativement avec des personnes dyslexiques ou non. C’est-à-dire que c’est le petit driver qui est sur le PC portable qui va piloter notre électronique embarquée dans l’écran. Si vous n’êtes pas dyslexique et que vous vous connectez à notre écran sans driver, l’écran est un écran normal, haute résolution 27 pouces. Et donc vous allez voir indifféremment à ce poste de travail des gens dyslexiques et non dyslexiques, et c’est la force du produit.
Les Robots : Avez-vous déjà des contacts avec les universités ?
Bertrand : Oui, nous avons quelques contacts avec l’université, en particulier avec l’Université de Picardie. Il se trouve que le médecin du travail qui gère la vie des agents de la Picardie et de l’antenne de Beauvais de l’université, est très sensible à ce qu’on fait. Aussi, il a équipé des agents de son université avec des lampes Lili. Et il est prévu aussi avec des écrans quand ils arrivent sur le marché dans un mois. Oui, les universités sont intéressées. Après, j’aimerais qu’on tisse un peu plus de lien et on est aussi en lien avec quelques établissements d’enseignement supérieurs. Parce que en fait il y a deux enjeux pour nous vis-à-vis de l’enseignement supérieur et de la recherche :
- Parler de la dyslexie pour mieux favoriser l’inclusion des personnes dyslexiques, des étudiants et pourquoi pas d’ailleurs des collaborateurs et des agents des universités.
- Mais aussi le deuxième sujet, c’est qu’il faut dire aux étudiants que quand on a une neuroatypie telle que la dyslexie, et bien en fait, il faut le faire valoir comme une force. Je ne sais pas si vous le savez, mais sur LinkedIn quand on met ses compétences, la dyslexie est devenue une compétence, c’est la pensée dyslexique. Et c’est grâce à Richard Branson, le fondateur du groupe Virgin, que l’on peut dire quand on est dyslexique qu’on a une pensée dyslexique et que c’est donc une compétence. Cette compétence est définie par beaucoup de créativité, beaucoup de capacité à résoudre des solutions, à être très orienté sur le dialogue interne, l’intrapreneuriat, beaucoup de ténacité et une très grande capacité visuelle.
Les Robots : Ça c’est très intéressant parce qu’on n’en parle pas assez. Pouvez-vous développer ?
Bertrand : Alors, on n’en parle pas assez. Souvent quand on est dans le domaine du handicap, on sait que ça révèle des forces parce que quand on est handicapé moteur, on a des forces décuplées sur certains sujets parce qu’on les mobilise. Là, la particularité de la dyslexie qui est un trouble cognitif, c’est que le cerveau fonctionne de manière différente dès la naissance et dès l’acquisition des connaissances, parce qu’il va trouver des parades à sa difficulté qui est majeure, qui est autour de la lecture et des mots qui, à partir du CP, est un enjeu très important jusqu’à la fin de la vie. Donc en fait, cette difficulté a façonné un cerveau qui fonctionne avec des images et des illustrations.
Je vais me permettre de citer un exemple, on est intervenu sur le site d’Orano, spécialistes du recyclage de déchets nucléaires. J’y ai rencontré un chercheur. Il me dit : « moi chaque année on me faisait redoubler. La prof de français voulait me faire redoubler. J’étais un cancre en français mais finalement je suis devenu docteur en chimie, j’ai réussi un doctorat en chimie. J’ai réussi à être embauché dans une entreprise assez tech et assez élitiste en termes de compétences et de technologie, chez Orano. » Et en fait, il était hyper fier de me dire que lui quand il voyait une équation chimique, il la voyait dans sa tête. Il voyait ce qu’il se passait. Et donc il me disait : « j’ai compris que grâce à la dyslexie, j’avais une avance sur mes collègues incroyables« . Ces capacités évidemment elles existent, sont réelles. Elles ont été prouvées par la science des sciences humaines.
Les Robots : Oui, il y a peut-être un message notre esprit un peu rigoriste sur l’orthographe, sur la langue.
Bertrand : Mais absolument. Je suis le premier à aimer les belles phrases et à aimer la belle orthographe mais il ne faut surtout pas cataloguer ceux qui n’en sont pas capables. Il faut se dire qu’ils font partie peut-être de ceux qui ont ce trouble et qui méritent peut-être qu’on les écoute parce qu’en général sur d’autres sujets, ils ont de meilleures idées que les autres.
Les Robots : C’est un sujet passionnant ! Merci Bertrand !
Bertrand : Merci à vous ! j’espère que vos lecteurs pourront apprécier et se dire qu’il y a certainement des champs d’intérêt et d’investigation pour améliorer la vie de leurs étudiants et puis leur parler aussi, s’ils nous font intervenir, de la dyslexie et de la force des profils neuroatypiques.
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