Emilie Korchia est la co-fondatrice de My Job Glasses, la 1ère plateforme de rencontres professionnelles en Europe.

Les Robots : Comment définissez-vous les rencontres professionnelles de My Job Glasses ?

Emilie : Les rencontres professionnelles proposées par My Job Glasses sont une opportunité d’échanger directement avec un professionnel qui va expliquer son métier de manière concrète. L’objectif principal est de permettre aux jeunes de se projeter et de comprendre véritablement une profession à travers les yeux de la personne qui l’exerce au quotidien, plutôt qu’une vision potentiellement déformée par un service de ressources humaines.

Ces échanges permettent de poser toutes les questions importantes sur un poste, telles que :

  • Les missions concrètes.
  • À quoi ressemble une journée type.
  • Ce qui est particulièrement apprécié dans le métier.
  • Mais aussi, ce qui est difficile.

Il faut aussi souligner que les jeunes ont souvent une vision superficielle et parcellaire des métiers, ce qui peut entraîner des déceptions une fois en entreprise, car la réalité ne correspond pas à leurs attentes. Une étude de la Dares indique d’ailleurs que 46% des jeunes quittent leur premier emploi avant la fin de la première année précisément à cause de ce décalage. La volonté de My Job Glasses est donc d’utiliser ces rencontres professionnelles pour éviter ces décalages.

Je tiens à préciser que cette rencontre n’est pas un entretien d’embauche. C’est un moment sans enjeu, sans candidature, où l’on est dans quelque chose de beaucoup plus concret pour permettre de se projeter et de choisir un poste en toute connaissance de cause, ce qui n’est malheureusement pas souvent le cas.

Les Robots : Mais cela reste difficile quand même de choisir et de savoir à l’avance si un métier va me plaire. Comment les jeunes peuvent-ils valider un choix ?

Emilie : Il est effectivement très difficile de valider un choix, surtout lorsqu’on ne connaît pas bien le métier. La plateforme My Job Glasses facilite ce processus en offrant la possibilité de rencontrer plusieurs professionnels pour affiner ses choix.

Prenons l’exemple de jeunes intéressés par le « marketing » sans en comprendre la substance concrète. En rencontrant un professionnel, ils peuvent découvrir :

  • Ce qu’est le marketing en général.
  • Les différences de ce même métier entre diverses entreprises (par exemple, être seul dans une petite start-up ou faire partie d’une équipe de cinquante personnes dans un grand groupe).
  • Les spécialisations au sein d’un même domaine (par exemple, les études marketing ou le community management, deux métiers très différents mais relevant du marketing).

Grâce à ces échanges, les jeunes peuvent creuser davantage et découvrir des aspects ou des métiers qu’ils ignoraient. Avoir des gens qui exercent le métier pour expliquer concrètement ce que c’est réduit considérablement les chances de déception, car cela permet d’y voir plus clair, d’être rassuré et de mieux découvrir un univers dans lequel se projeter plus facilement.

En outre, la plateforme est utilisée à différents moments du parcours éducatif des jeunes :

  • Dans le cadre de l’Éducation nationale : Elle accompagne les professeurs de collège et lycée en leur permettant de trouver facilement des professionnels de divers métiers et secteurs pour des interventions en classe (module de découverte des métiers au collège, 54 heures au lycée). Ce faisant, My Job Glasses aborde un problème d’inégalité d’accès qui dépend souvent des parents d’élèves ou de la géographie. L’objectif est l’égalité des chances : un enfant dans la Creuse devrait avoir accès à des métiers non présents localement mais qu’il pourrait exercer, et de même, un jeune à Paris devrait pouvoir découvrir des métiers essentiels comme celui d’agriculteur qui ne sont pas forcément à portée de main.
  • Dans l’enseignement supérieur : My Job Glasses est intégré dans les cursus de plus de quatre cents établissements. Les jeunes y sont encouragés à rencontrer généralement trois professionnels pour affiner leur projet et leur orientation. Ces rencontres peuvent également déboucher sur la découverte et l’obtention de stages ou d’alternances.
  • Au lycée, pour la préparation de Parcoursup : L’objectif est d’éviter que les jeunes choisissent un projet par défaut, comme s’orienter vers une faculté de droit par manque de compétences en mathématiques pour la médecine. Au lieu de cela, la plateforme permet aux jeunes de rencontrer des professionnels du droit tels que des magistrats, juristes, avocats, notaires, commissaires-priseurs, ou même des policiers. Cela leur montre la diversité des carrières possibles avec un diplôme en droit et les aide à se projeter pour voir si cela leur plaira réellement. La plateforme offre aussi la possibilité d’échanger avec des étudiants déjà inscrits dans ces domaines.

Les Robots : On a un peu l’impression que tout le monde fait ou souhaite faire la même chose, alors qu’il y a des métiers extraordinaires que personne ne connaît finalement. Comment faire pour découvrir des métiers que je ne connais pas, par exemple ?

Emilie : Pour découvrir des métiers moins connus ou insolites, My Job Glasses propose plusieurs solutions sur sa plateforme :

  • Présentation aléatoire de professionnels : Dès l’arrivée sur la plateforme, des profils de professionnels sont présentés de manière aléatoire, ce qui permet de découvrir de nouvelles pistes. Cette sélection aléatoire change régulièrement.
  • Suggestions personnalisées : En fonction de l’expérience utilisateur, du temps passé sur différentes fiches et des réactions, la plateforme peut suggérer des métiers similaires ou proposer des alternatives si elle détecte un désintérêt.
  • Recherche par mot-clé : Les utilisateurs peuvent taper un mot-clé pour explorer des métiers liés à ce terme.
  • Recherches avancées, y compris par « style » : Il est possible de préciser des préférences comme « plutôt créatif ». Il existe même une case spécifique pour les « métiers insolites », qui, une fois cliquée, affichent divers métiers.

Après avoir consulté les fiches de profil des professionnels, les jeunes intéressés peuvent solliciter un rendez-vous. La plateforme les accompagne dans la rédaction du message, car il a été constaté que les jeunes ne savaient pas toujours comment s’adresser à un professionnel au-delà d’une simple demande de stage. Pour faciliter cela, la plateforme « oblige » à structurer le message en cinq parties :

  1. Se présenter.
  2. Expliquer où l’on en est dans son parcours scolaire.
  3. Préciser pourquoi ce professionnel en particulier a été sollicité parmi les 82 000 disponibles.
  4. Définir ce qui est attendu de l’échange.
  5. Formuler une demande de rendez-vous avec une formule de politesse et une signature.

Cette structure est conçue pour faciliter la réponse positive du professionnel, car elle rend la demande claire et compréhensible. Les professionnels sur la plateforme ne sont pas des coachs ; ils partagent leur expérience et leurs témoignages, y compris ce qu’ils feraient différemment, permettant aux jeunes de se construire une vision en miroir de ce qu’ils entendent.

Les Robots : Comment faire pour avoir plus de femmes dans les métiers scientifiques, comment faire pour avoir plus de femmes dans la tech, comment faire pour avoir plus de femmes au Comex ?

Emilie : My Job Glasses agit très fortement sur ce sujet de la féminisation en mettant en avant des femmes dans les métiers où elles sont sous-représentées. Cela inclut des femmes dans la tech, l’aéronautique, les Armées, des postes de direction, et des entrepreneures. Je suis moi-même une ambassadrice et partage mon expérience pour montrer que « si moi j’ai pu le faire, elles peuvent le faire aussi ». La plateforme est spécifiquement conçue pour mettre en avant des rôles modèles.

Deux exemples illustrent cette démarche :

  • Dans les Armées : My Job Glasses travaille avec le ministère des Armées depuis 2018, avec mille collaborateurs civils et militaires sur la plateforme. Il a été observé que les jeunes filles intéressées par l’armée suivent un « schéma » : elles rencontrent d’abord une femme militaire pour se rassurer sur le fait d’être une femme dans cette institution. Une fois rassurées, elles recherchent par métier, sans distinction de genre du professionnel. Si elles décident de s’engager, elles en parlent souvent à leurs parents, qui peuvent être inquiets. La plateforme permet alors à la jeune fille de revenir avec ses parents pour un échange, souvent avec la même femme militaire, qui trouve cela gratifiant en se souvenant de ses propres difficultés il y a dix ans.
  • Dans l’aéronautique : C’est une industrie qui prévoit 25 000 emplois uniquement en 2025 et a un enjeu de féminisation. My Job Glasses est fière d’avoir 30% de femmes ambassadrices dans l’aéronautique, alors que le secteur est à 20%. Cette surreprésentation des femmes est jugée importante pour la féminisation. Dans le cadre d’un partenariat France 2030, le pourcentage de jeunes filles s’intéressant à ces professionnels est passé de 20% à 42,3% en 18 mois. Cette augmentation s’explique par le fait que la plateforme pousse activement ces métiers vers les jeunes filles. Si une jeune fille recherche un mot-clé lié à l’aéronautique, la plateforme va la diriger vers ces opportunités. En conséquence, 83% d’entre elles se déclarent intéressées par une opportunité dans l’aéronautique. Des témoignages récents au Salon du Bourget ont confirmé que des jeunes filles ont trouvé des stages dans l’aéronautique grâce aux échanges sur la plateforme. Ces rencontres facilitent la projection et peuvent se transformer en opportunités en facilitant des liens qui n’auraient pas été accessibles autrement.

Les Robots : Comment est-ce que tout le bruit autour de l’IA qui va supprimer des métiers impacte les jeunes ?

Emilie : La question de l’IA est fréquemment posée par les jeunes lors des rencontres My Job Glasses, et ce, dans tous les domaines, pas seulement le marketing. Ils s’interrogent sur :

  • Le rôle actuel et futur de l’IA dans le métier du professionnel.
  • La possibilité que leur métier soit remplacé par l’IA à terme.

Les professionnels sur la plateforme peuvent expliquer comment ils utilisent l’IA aujourd’hui, parfois pour libérer du temps et réaliser d’autres tâches qu’ils n’avaient pas le temps de faire. L’impact de l’IA varie d’un métier à l’autre. My Job Glasses considère ces échanges comme un forum de discussion essentiel où la peur des jeunes peut être confrontée à la vision d’un professionnel qui vit cette situation au quotidien. La plateforme encourage les jeunes à poser ces questions pour mieux appréhender l’évolution du marché du travail.

Les Robots : Est-ce que vous, My Job Glasses, êtes impactés par l’IA ? Est-ce que la plateforme en tient compte ? Est-ce que vous l’utilisez ? Comment est-ce que cela peut améliorer ces rencontres professionnelles finalement ?

Emilie : My Job Glasses a longuement réfléchi à l’intégration de l’IA, en se demandant où et pourquoi l’utiliser, et dans quel but. Il y a des domaines où l’IA a été délibérément exclue. Ainsi nous avons décidé l’interdiction de l’IA pour la rédaction des messages. Dans la partie où le jeune doit rédiger son message pour solliciter un professionnel, My Job Glasses a bloqué l’IA et interdit les copier-coller. Les professeurs estiment que cet espace est crucial pour apprendre aux jeunes à structurer leurs pensées et leur raisonnement : pourquoi choisir ce professionnel, quelles questions poser, comment se présenter. Il est essentiel que le jeune accomplisse cette tâche par lui-même.

En revanche, l’IA est un réel moteur de transformation pour My Job Glasses. Dans le cadre de France 2030, nous avons un projet majeur actuellement en développement, visant à amplifier l’impact des échanges avec :

  • La création d’une vidéothèque d’orientation par l’IA : l’idée est que, avec l’accord mutuel du professionnel et du jeune, les échanges en visioconférence puissent être enregistrés et traités par une IA. Cette IA générera de nombreuses mini-vidéos à partir de ces échanges et les mettra à disposition dans une vidéothèque de contenu d’orientation, ce qui serait une première mondiale.
  • La démultiplication des bénéfices des rencontres : l’objectif est que les informations tirées de ces échanges individuels (bientôt un million de rencontres sur la plateforme) ne restent pas limitées aux deux participants, mais soient démultipliées et accessibles au plus grand nombre.
  • Un accès ciblé à l’information : les utilisateurs pourront obtenir les informations pertinentes via une requête ou une recherche par mot-clé, sans devoir visionner une heure de visioconférence pour trouver quelques minutes d’intérêt. Cela permettra de découvrir des métiers plus facilement et d’affiner sa recherche avant de rencontrer un professionnel pour des discussions plus approfondies.

Une première version de ce projet est prévue pour 2026. L’objectif général est de rendre les métiers accessibles au plus grand nombre.

Bien que le focus initial ait été les jeunes, My Job Glasses accompagne désormais aussi les personnes en reconversion, les demandeurs d’emploi et les seniors, car il y a un enjeu important de projet professionnel, de retour et d’accès à l’emploi. La démocratisation de l’information est au cœur de notre mission, car elle est perçue comme la base pour recréer l’égalité d’accès à l’emploi et permettre des choix de carrière éclairés.

Merci beaucoup Emilie !

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