La crise sanitaire a accéléré et même fait exploser selon l’article de Siècle Digital, le secteur EdTech. De nombreuses solutions numériques sont nées ou se sont fortement développées, devenant une priorité pour les établissements de l’enseignement supérieur.

Dans l’urgence, les universités ont dû faire appel à des solutions externes, parfois étrangères, telles que Zoom, la plateforme de visioconférence, affirmant être “utilisée par 96% des meilleures universités américaines” et par plus d’une vingtaine d’universités françaises. Se tourner vers l’extérieur était alors la solution la plus efficace pour les établissements publics qui ont dû agir rapidement pour assurer la continuité pédagogique de plusieurs dizaines de milliers d’étudiants. Ce changement radical des modalités d’enseignement a également plongé les enseignants comme les étudiants dans le grand bain des solutions EdTech. Cela a eu pour conséquence une forte accélération de l’innovation dans le secteur des technologies de l’éducation avec des retours d’expérience plus nombreux et plus précis de la part de la communauté éducative. 

Au-delà de la nécessité d’une adaptation rapide et efficace qui a poussé à l’acquisition de solutions propriétaires, les universités, comme nous l’avons déjà expliqué dans un précédent article, avaient engagé leur transformation numérique bien avant la crise sanitaire. Parmi elles, certaines développent et déploient depuis plusieurs années des solutions libres¹. D’étroites collaborations entre établissements sont structurées au sein du consortium Esup-Portail qui regroupe 80 établissements français et développe continuellement des solutions adaptées aux besoins des universités. D’autres solutions ont vu le jour, plus confidentiellement, au sein de la communauté académique avant de devenir des références du libre. C’est le cas de Jitsi né à la fin des années 2000, dans le cadre d’un travail doctoral à l’université de Strasbourg et devenu, depuis, une solution de visioconférence commerciale mais dont le code source reste néanmoins ouvert.

Toutes ces solutions libres (Moodle, Jitsi, BBB, RocketChat, Pod, NextCloud …) ont été utilisées par certaines universités durant la crise mais elles ont nécessité la mobilisation de moyens notamment humains importants par les établissements, en particulier, pour le passage à l’échelle sur plusieurs dizaines de milliers d’utilisateurs. C’est pourquoi ces solutions ne nous semblent pas accessibles à tous, dans la mesure où la disponibilité des ressources humaines peut se révéler un frein au déploiement d’une telle configuration.

Malgré cela, et dans certains cas, l’usage de certaines solutions logicielles libres est assez répandu au sein des universités. C’est notamment le cas du LMS Moodle utilisé par 98% des universités françaises et ce déjà bien avant la crise sanitaire².

Quelques exceptions émergent également dans le paysage universitaire pour une utilisation plus généralisée. Ainsi, Avignon Université a fait le choix d’une approche 100% open source pour l’ensemble des solutions numériques au service de la pédagogie. 

Le zero GAFA aurait-il un avenir dans les universités françaises?

Pourquoi l’open source a-t-il toute sa place à l’université ? 

1. Protéger la donnée

L’une des premières raisons pour lesquelles les universités s’engagent dans le développement ou le déploiement de ressources logicielles libres est la protection de la donnée. Les établissements regorgent d’informations sur leurs étudiants, leurs enseignants et plus globalement sur tous les acteurs universitaires, qui sont des données considérées comme sensibles. Il s’agit dans un premier temps “d’éviter les solutions grands publics que peuvent proposer les GAFAM où l’on ne peut rester maître de la donnée” selon Nicolas Can, responsable web et multimédia de l’université de Lille. Il est primordial de savoir où va la donnée afin d’être sûr de pouvoir la protéger de manière durable. 

(Re) découvrez la passionnante interview de Nicolas Can, responsable Web & Multimedia de l’université de Lille et créateur de la solution Pod !

2. Eviter la dépendance

S’orienter vers des systèmes propriétaires de grande envergure, c’est aussi collaborer de manière contractuelle avec un système qui évolue selon sa propre politique, en réponse à des objectifs globaux. Si la stratégie de l’entreprise évolue ou que sa feuille de route stratégique ne rencontre plus les besoins de l’université en matière de développement et d’amélioration de la solution, la dépendance de l’université à la solution devient problématique.

3. Créer de l’interopérabilité

Utiliser des logiciels Open Source permet de s’ouvrir à davantage de compatibilité entre les différentes solutions développées avec un but collaboratif, celui-ci étant de mutualiser les compétences et de combiner les forces des différentes solutions. Cette interopérabilité crée une véritable flexibilité et la possibilité de personnaliser sa solution selon ses priorités. Cependant, les solutions doivent respecter certaines normes ou standards, pour pouvoir fonctionner ensemble. Cet argument vaut également pour certaines EdTech qui s’emploient à faciliter l’interopérabilité avec d’autres solutions.

“L’interopérabilité s’annonce dans les années à venir comme un sujet majeur. C’est pourquoi nous développons un Hub de connecteurs souverain tout en privilégiant l’analyse et la sécurité des données”, témoigne John-Edwin Graf, CEO de Beecome

4. Mutualiser les compétences et soutenir les talents universitaires

Travailler en Open Source, au développement de logiciels libres permet la mutualisation de compétences et donc la possibilité d’accélérer l’innovation. En agissant dans un intérêt commun, l’accumulation de compétences crée des projets solidaires et pousse une innovation qui vise avant tout à servir à long terme l’évolution et la transformation des universités. Les valeurs de partage et de solidarité sont très fortes dans le monde universitaire avec une volonté de les pérenniser et de les transmettre. Privilégier les solutions libres, c’est aussi soutenir et permettre aux talents universitaires de faire connaître leur travail et de le mettre en lumière. 

5. Réduire les coûts

Enfin les logiciels libres n’ont pas de coûts de licence. S’ils nécessitent des coûts associés, comme une expertise technique pour les développer, les mettre en œuvre, les déployer et les maintenir en conditions opérationnelles, ces coûts restent souvent inférieurs à une solution commerciale. Utiliser des solutions libres est aussi un moyen plus abordable de s’approprier de nouvelles technologies, avec la possibilité de cibler et de choisir les modules à intégrer dans le système. 

Mais alors quelles sont les limites de ces solutions open source ?

1. Pas cher mais coûteux

Si les logiciels libres avaient réponse à tout problème, les entreprises EdTech ne seraient pas en plein développement. L’utilisation de solutions logicielles libres nécessite des moyens humains et techniques conséquents et s’adresse donc à des universités ayant la capacité de développer, déployer et maintenir les solutions en interne. Certaines universités, en particulier celles dont les DSI ou direction du numérique ne sont pas suffisamment dotées en personnels, font souvent le choix d’acquérir sur le marché des solutions clé en main répondant à leurs besoins. Les EdTech peuvent alors apporter des réponses plus complètes et plus adaptées à un problème précis identifié par l’université.

2. UI/UX on en parle ?

De l’avis de beaucoup et notamment des utilisateurs, l’un des problèmes majeurs des solutions libres est souvent l’UI/UX, le design de l’interface et l’expérience associée, qui pèche. 

C’est pourtant l’un des points déterminants dans l’adoption d’une solution logicielle. Et c’est ce qu’ont bien compris les EdTech en travaillant plus particulièrement l’ergonomie des solutions qu’elles proposent.

Les solutions Open Source et les solutions EdTech commerciales ne sont pas incompatibles, au contraire. Elles sont le plus souvent complémentaires dans le catalogue des solutions numériques nécessaires au bon fonctionnement d’une université. Pour preuve, le panel varié de solutions déployées dans la plupart des universités françaises, composé à la fois de solutions libres et de solutions propriétaires.

Néanmoins, comme le souligne la CNIL dans son avis rendu le 27 mai dernier, il convient de rester attentif au traitement qui est fait des données collectées dans le cadre de l’utilisation de solutions commerciales, notamment américaines. “Le recours à ces solutions met en lumière des problématiques de plus en plus prégnantes relatives au contrôle des flux de données au niveau international, à l’accès aux données par les autorités de pays tiers, mais aussi à l’autonomie et la souveraineté numérique de l’Union européenne.” rappelle la Commission.

C’est notamment pour cela qu’il nous semble essentiel de rapprocher la communauté académique de l’écosystème EdTech national et européen afin de faciliter la co-conception de solutions adaptées aux besoins, ergonomiques et respectueuses des données personnelles.

La souveraineté numérique se construira ensemble, avec le soutien des pouvoirs publics et en rapprochant entrepreneurs et universités ! 

¹ Une solution est dite libre lorsqu’elle est sous licence publique et donc à disposition des universités, en Open Source.
² Source: “Enquête sur les pratiques numériques des universités françaises durant la crise”, réalisée pour VP-Num par Simone et les Robots en Mai 2020