Les tendances sont-elles dictées par l’Intelligence Artificielle ? Une question que peuvent naturellement se poser les dirigeants d’établissement ainsi que les enseignants, tant le mot-clé est devenu indissociable du futur de l’éducation. Pour autant, il nous semble très étroit de réduire le champ d’exploration des tendances à cette invasion des machines dans la génération de contenus en tout genre. Certes, il n’y aura pas de retour en arrière et toute production de contenu sera suspectées d’être nourrie par les algorithmes, mais la mission de l’enseignement supérieur ne se limite évidemment pas à la restitution de connaissances, ni d’ailleurs à leur diffusion.

Dans ce contexte souvent présenté comme anxiogène, n’est-il pas urgent de relativiser et de sortir de la dramatisation ? Pourrions-nous évoquer d’autres tendances fortes qui viendront enrichir l’expérience de tous avec ou sans IA ?

1 – L’IA sera partout présente

Trouver un équilibre juste dans l’utilisation de l’intelligence artificielle, entre usage, praticité et prudence, est un impératif dont chacun a bien conscience aujourd’hui. Il faudra sans doute encore quelque temps pour réguler et définir les règles d’une bonne conduite, alors même que nous ne sommes qu’au début en termes de performance, et que l’évolution semble plus rapide du côté de la machine que du nôtre. Difficile de nier ici l’importance du sujet. Mais finalement, l’IA deviendra un outil puissant dont il faudra apprendre à se servir et dont la qualité dépendra des données qui l’alimentent.

Au-delà de l’adoption massive de ce nouvel outil, quels enjeux ce choc culturel risque-t-il de masquer ?

Alors qu’il devient indispensable d’apprendre à vivre avec les machines, la succession de crises sanitaires et économiques génère un climat d’inquiétude parmi les acteurs de l’enseignement supérieur. Ainsi, les perturbations importantes que traversent les universités ont des répercussions douloureuses sur l’état psychologique et le moral des étudiants comme des personnels. S’adapter aujourd’hui c’est avant tout faire preuve de résilience et garder foi en un avenir plus serein. Si les parcours sont devenus des courses d’obstacles mouvants, comment être surpris par la dégradation de la santé mentale des apprenants ? Leur répéter que 85% des emplois de demain, à l’horizon 2030, n’existent pas encore, génère certainement un questionnement quant aux compétences que l’on exige d‘eux. Pourquoi faudrait-il apprendre l’anglais, l’histoire ou même les mathématiques, à l’heure où se préparent des appendices traducteurs simultanées, des bases de connaissances infinies ou la programmation assistée par l’IA ?

2 – Le changement culturel en cours renforce l’apprentissage des softs skills

Évaluer les compétences et plus encore ce qui détermine les comportements en société et en entreprise est l’une des missions majeures confiées à l’Université mais aussi aux grandes écoles du supérieur. Il s’agit davantage de former des esprits et des esprits critiques, que des exécutants de tâche. Il est question de développer son intelligence émotionnelle et situationnelle, sans renoncer aux savoirs techniques ou théoriques.

On abordera alors des thèmes transversaux touchant les apprenants dans leurs parcours d’apprentissage :

  • Quelles ont été vos stratégies les plus efficaces pour susciter un engagement positif dans vos initiatives et un changement durable ?
  • Quelles sont les méthodes de travail permettant de cultiver les futurs leaders au sein de vos équipes ?

Ainsi l’accent est mis sur le développement des compétences non-techniques telles que la pensée critique ou la maîtrise de l’intelligence collective. Rappelons que dès 2019[1], AUNEGe proposait de tester des modules d’enseignement permettant l’acquisition des compétences transversales et comportementales. Il s’agissait déjà de mettre à disposition des enseignants « des ressources et des outils libres d’accès pour découvrir, développer ou acquérir des compétences comportementales transversales à toutes les disciplines :

  • l’écoute ;
  • l’empathie ;
  • l’adaptabilité ;
  • la créativité ;
  • le travail en équipe ;
  • la gestion de conflits.

3 – Avec l’IA, l’inclusion ne sera plus une option

Au BETT, à Londres, en ce mois de janvier, Kay Firth-Butterfield, autorité mondiale reconnue en matière de gouvernance de l’IA, exposait les avantages de l’IA dans le domaine de l’éducation, tels que l’apprentissage personnalisé. Mais surtout il rappelait pourquoi il est essentiel de mettre en place une bonne gouvernance avant de commencer à utiliser l’IA avec des populations vulnérables.

Bien évidemment, il faudra encadrer les interactions entre l’enseignant et l’apprenant, en respectant la protection de la vie privée, le partage des données, la manipulation et la compréhension de ce qui est enseigné. Ainsi, si l’IA peut améliorer l’inclusion dans l’enseignement supérieur, c’est avant tout en proposant une réelle personnalisation des parcours des étudiants.

D’autres aspects fondamentaux de l’inclusion sont l’accès aux ressources pédagogiques, l’impartialité des évaluations et l’atténuation des biais dans les processus d’admission.

Les technologies d’IA peuvent améliorer l’inclusion dans l’enseignement supérieur de plusieurs manières, notamment en offrant un soutien personnalisé aux étudiants et en facilitant l’accessibilité aux ressources éducatives. Des applications de l’IA permettent déjà, de proposer toutes les ressources disponibles, y compris aux apprenants en situation de handicap, en utilisant la traduction automatique et d’autres services technologiques. Il est par ailleurs possible d’évaluer plus équitablement et de réduire les biais dans les processus d’admission. Autre exemple, l’automatisation des évaluations permet d’analyser les performances des étudiants et de fournir un feedback individualisé.

4 – Mettre au vert notre système éducatif !

Alors que chacun parle désormais de l’impact des actions de l’Homme sur son environnement, la question est également posée aux établissements d’enseignement supérieur. Selon une étude de l’École des Mines de Saint-Etienne et OpinionWay, publiée en juillet dernier [2], alors que seulement un étudiant sur quatre fait son choix d’étude en fonction des enjeux de transition économique et écologique, ils sont 70% à penser que les écoles et les universités font du « green washing » et ne sont pas réellement engagées. À la fin, près d’un tiers des étudiants « seraient prêts à quitter leur établissement s’ils réalisaient que son empreinte carbone était désastreuse », précise cette étude. De quoi mettre le sujet sur la table sans attendre !

  1. Quels sont les obstacles qui empêchent les écoles, les collèges et les universités de réduire plus rapidement leurs émissions ?
  2. Quelles sont les meilleures choses que votre école, votre collège ou votre université puisse faire pour atteindre le niveau zéro d’émission de carbone d’ici 2050 ?
  3. Les objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies sont-ils utiles à votre école, votre collège ou votre université pour susciter l’intérêt et la passion de vos enseignants et des apprenants ?

Autant de questions que chaque établissement devrait sérieusement se poser dès cette année. À ce titre, le Plan d’Efficacité Énergétique des Campus à l’horizon 2030 (PEEC 2030) porté par France Universités depuis 2016, mais également le « Plan climat-biodiversité́ et transition écologique de l’Enseignement supérieur et de la Recherche »[3] du ministère, témoignent de l’engagement des universités en faveur de la transition écologique et du développement durable, non seulement pour elles-mêmes mais également comme acteurs d’influence au cœur des territoires.

Mme Sylvie Retailleau, Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, y déclare en introduction :

« dans cette vision transformante de notre société, le ministère et tous ses opérateurs doivent aussi apporter leur contribution à la réduction de la production de GES et de la consommation d’énergie ainsi qu’à l’urgente nécessité́ de préserver la biodiversité et sa capacité d’évolution, grâce à̀ des modalités de fonctionnement et des pratiques professionnelles en adéquation avec la transition écologique qu’ils promeuvent. A cette fin, chacun d’entre eux devra dans les deux ans produire un schéma directeur « développement durable et responsabilité sociétale » (DD&RS) qui proposera une trajectoire transformante de leur fonctionnement adaptée à leur situation mais ambitieuse quant aux objectifs visés, avec la production annuelle d’un bilan carbone afin de pouvoir mesurer les progrès réalisés en matière de décarbonation de leurs activités, d’impact sur l’environnement et d’économie d’énergie. »

Ce plan incite fortement les universités et les écoles du supérieur à s’engager activement dans la transition bas carbone et la réduction de leur impact environnemental. Ainsi, il fixe qu’en 2024, 50% des établissements d’enseignement supérieur (EPSCP et EESPIG) se seront saisis du référentiel DD&RS et 25% obtiendront le label DD&RS, puis qu’en en 2027 tous les établissements se seront saisis du référentiel DD&RS et 66% obtiendront le label DD&RS.

L’Intelligence Artificielle s’est invitée dans l’expérience étudiante et tout laisse penser que ce changement sera durable. Pour autant, nous sommes convaincus que les supers pouvoirs des humains sont toujours aussi précieux dans la transmission des savoirs comme pour les progrès de la recherche. C’est à l’Université et à ses parties prenantes de porter cette transformation profonde de notre civilisation.